Presque inconnu en Occident, sauf pour sa collaboration avec le groupe canadien Cowboy Junkies, le rockeur Zuoxiao Zuzhou est célèbre en Chine. Proche de l'artiste dissident Ai Weiwei, il lutte ardemment depuis quelques mois contre les expropriations menées par des autorités jugées corrompues. Portrait en trois temps d'un chanteur dont la voix rugueuse résonne dans le concert grandissant de critiques qui s'élève en Chine contre le pouvoir en place.

Dylan, Cohen et Tom Waits à la fois

Zuoxiao Zuzhou a été qualifié de «Leonard Cohen chinois». Son chant rauque évoque davantage Tom Waits. Quant à sa plume sarcastique, elle le rapproche de Bob Dylan. «Il fait des chansons qui critiquent beaucoup le gouvernement, mais il est loin d'être le seul à le faire, signale Loïc Tassé, politologue spécialiste de la Chine. La société chinoise a une curieuse évolution en ce moment; il y a de plus en plus de tolérance pour les opinions dissidentes.» Le gouvernement encourage même certains discours critiques, notamment contre la corruption. «[Zuzhou] est très futé. Il met le doigt sur certaines choses, dit encore M. Tassé, mais il ne peut pas dire que la corruption part du haut de la pyramide du Parti communiste. Ça le mènerait directement en prison.»

Zuzhou style

Gangnam Style, le tube du Coréen Psy, se moque gentiment de clichés en vogue dans le rap et la pop. Sans plus. L'artiste visuel Ai Weiwei et Zuzhou en ont fait une parodie politisée l'automne dernier. Dans une scène récurrente du clip mis en ligne en octobre, les deux amis dansent menottés l'un à l'autre. Il s'agit d'un clin d'oeil au sentiment d'impuissance des gens qui font face aux évictions et expropriations qui sont monnaie courante en Chine, mais dont la légalité est contestée. Zuzhou prétend ne rien comprendre à la politique et ne pas faire exprès pour se moquer des autorités. Il dit plutôt vouloir «apporter du bonheur» aux gens. Ce qu'il fait avec une ironie féroce... «Le gouvernement a blâmé Sanlu, Sanlu a blâmé les fermiers, et les fermiers ont blâmé les vaches», chante-t-il en faisant référence à l'affaire du lait contaminé à la mélamine en 2008.

Expropriations abusives

Les expropriations constituent l'une des causes principales d'instabilité en Chine depuis plusieurs années. Des citoyens accusent les autorités locales de pratiquer des saisies abusives et d'en tirer profit en les revendant à des promoteurs, sans remettre une juste part aux habitants évincés. Le cas de Wukan, village du sud de la Chine situé à environ 200 km à l'est de Shenzhen, est devenu un symbole de cette lutte de pouvoir à l'automne 2011. «Ces expropriations ne sont pas faites dans les règles de l'art, confirme M. Tassé. Les terrains autour des villes valent de plus en plus cher et la tentation de vendre est grande [pour les autorités locales]. En Chine, la corruption est très répandue et la pression des entrepreneurs est très forte. Il n'y a pas de justice indépendante. Ce n'est pas demain la veille qu'on verra une commission Charbonneau en Chine.»

Sources : NPR.org, Le Figaro, Courrier international