Le Pakistan était sous tension vendredi au lendemain de l'une des journées les plus meurtrières de son histoire récente avec 125 morts dans quatre attentats visant notamment des chiites, confirmant une inquiétante hausse des violences à quelques mois des élections générales.

L'attaque la plus dévastatrice, un double attentat-suicide perpétré dans un club de billard bondé d'un quartier largement peuplé par la minorité chiite, a tué au moins 92 personnes et blessé 121 autres, à Quetta, capitale de l'instable province du Baloutchistan (sud-ouest), selon la police locale.

Selon la police, le club était surtout fréquenté par des chiites.

Cet attentat, le plus sanglant jamais commis au Pakistan contre cette minorité dont sont issus environ 20 % d'une population de 180 millions d'habitants au total, a été revendiqué par les extrémistes sunnites du Lashkar-e-Jhangvi (LeJ), le principal groupe rebelle anti chiite du pays.

Lié à Al-Qaïda et aux talibans pakistanais, le LeJ fut notamment impliqué dans l'enlèvement et le meurtre du journaliste américain Daniel Pearl, décapité en janvier 2002.

Des centaines de chiites ont organisé vendredi un sit-in de protestation face au bâtiment dévasté par l'attentat, en refusant d'enterrer leurs proches tués dans l'attentat tant que l'armée n'aura pas pris en main la sécurité de la ville à la place de la police et des paramilitaires, jugés inefficaces ou corrompus.

Le gouvernement provincial du Baloutchistan, également aux prises avec une insurrection séparatiste, a de son côté annoncé trois jours de deuil, sans toutefois convaincre les manifestants qui restaient massés dans la rue autour d'une trentaine de dépouilles de victimes placées dans des cercueils.

«Le mouvement de protestation se poursuivra jusqu'à ce que l'armée prenne le contrôle de Quetta» à la place d'un gouvernement «incapable ou qui ne veut pas» reprendre en main la sécurité, a dénoncé l'un des organisateurs de la manifestation, Hashim Mousavi, un cadre du parti chiite Wahdatul Muslimeen.

La double attaque contre le club de billard est également la plus meurtrière dans le pays depuis un double attentat-suicide contre la police, fatal à 98 personnes en mai 2011 dans le nord-ouest, bastion des talibans.

Les deux explosions au club de billard avaient été précédées, également à Quetta, d'une première attaque sur un marché très fréquenté qui avait coûté la vie à onze personnes et fait 27 blessés. L'engin explosif visait selon les autorités une unité de paramilitaires, très présents au Baloutchistan, la province la plus pauvre du Pakistan et qui borde à la fois l'Iran et l'Afghanistan.

Le quatrième attentat a eu lieu dans le nord-ouest à Mingora, capitale de la vallée de Swat, où une bombe placée au siège d'un mouvement religieux a fait 22 morts et plus de 80 blessés, selon la police. Il s'agit de l'explosion la plus meurtrière dans la région depuis que l'armée y a repris le pouvoir aux talibans en 2009.

La France a condamné vendredi «avec la plus grande fermeté» les attentats de jeudi, en appelant les autorités pakistanaises à «faire cesser les violences interconfessionnelles» et à combattre l'extrémisme.

L'organisation de défense des droits de l'homme Human Rights Watch (HRW) a quant à elle dénoncé «la lâcheté et l'indifférence des autorités» face aux «massacres» de chiites, de plus en plus fréquents au Pakistan depuis deux ans, en notant que l'année 2012 avait établi un record en la matière (400 morts).

Plusieurs de ces attaques les plus sanglantes ont eu lieu au Baloutchistan, régulièrement secoué par les violences, notamment contre la minorité chiite ou liées au conflit entre les autorités et une insurrection locale ou talibane.

La journée noire de jeudi confirme la hausse des violences observées dans plusieurs régions du pays ces dernières semaines, une tendance inquiétante à quelques mois des élections générales prévues au printemps, peut-être en mai.

Les attaques de jeudi à Quetta «sont sectaires et ne sont pas liées aux élections», a estimé un responsable de l'administration locale, Mohammad Hashim.

Mais le général à la retraite et analyste politique Talat Masood souligne de son côté que la multiplication des incidents prouve que «le gouvernement perd complètement le contrôle de la situation» et que dans ce contexte, «il va être très difficile d'organiser les élections» dans les temps.