L'ancien premier ministre thaïlandais Abhisit Vejjajiva a été inculpé pour meurtre jeudi pour sa responsabilité dans la mort d'un civil abattu par l'armée lors des manifestations de 2010, un dossier symbole de la fracture politique qui menace constamment d'embraser le royaume.

Abhisit est poursuivi avec son vice-premier ministre, Suthep Thaugsuban. Ils se sont présentés à la mi-journée au siège du Département des enquêtes spéciales (DSI) du ministère de la Justice, ont constaté des journalistes de l'AFP.

Ils y ont été formellement inculpés et «tous deux nient les accusations retenues à leur encontre», a indiqué Thavorn Senniem, figure du Parti démocrate auquel ils appartiennent.

Ils sont les premiers dirigeants de l'époque inquiétés dans ce dossier, alors que 24 leaders des manifestants s'apprêtent à être jugés pour «terrorisme». Le chef du DSI Tarit Pengdith a assuré qu'ils ressortiraient libres bien qu'ils soient passibles, en théorie, de la peine capitale.

Jusqu'à 100 000 «chemises rouges», fidèles à l'ancien chef du gouvernement en exil Thaksin Shinawatra, avaient occupé le centre de Bangkok pendant deux mois au printemps 2010 pour réclamer la démission d'Abhisit avant d'être délogés par l'armée.

Cette crise, la plus grave qu'a connue la Thaïlande moderne, avait fait quelque 90 morts et 1900 blessés.

Et le royaume reste profondément divisé entre les pro-Thaksin, renversé par un coup d'État militaire en 2006, et ceux qui le voient comme un danger pour la monarchie.

Une fracture à l'origine des manifestations de masse qui ont fait et défait plusieurs gouvernements ces dernières années, et derrière lesquelles s'affrontent les masses rurales et populaires du nord et du nord-ouest du pays, pro-Thaksin, et les élites de la capitale, qui le haïssent.

Abhisit assure ne rien avoir à se reprocher. «Je pense que beaucoup de gens comprennent les efforts que j'ai faits pour éviter les pertes. À ce moment-là, il était du devoir du gouvernement de restaurer l'ordre,» a-t-il récemment expliqué à l'AFP.

Il a aussi indiqué préférer une condamnation que de «négocier» avec le gouvernement. Une référence au projet de la majorité de faire voter une amnistie des violences politiques depuis 2005, qui profiterait à Thaksin.

Le héros des «rouges» et frère de l'actuelle première ministre Yingluck Shinawatra vit en effet à Dubaï pour échapper à une condamnation à deux ans de prison et à des poursuites pour «terrorisme».

Les inculpations d'Abhisit et Suthep interviennent alors que le procès pour «terrorisme» des 24 leaders «rouges», dont cinq députés du parti pro-Thaksin désormais au pouvoir, devait s'ouvrir jeudi. Il a été reporté à vendredi, après plusieurs précédents contretemps.

Les deux camps s'affrontent ainsi par procédures interposées, selon le politologue Thitinan Pongsudhirak, estimant que les deux côtés «s'appliquent à salir l'autre» tout en jugeant «improbable» que les deux hommes soutenus par les élites soient jamais emprisonnés.

Mais en dépit de sa dimension politique manifeste, il a qualifié cette inculpation de «progrès» pour le pays.

«En principe, la répression du gouvernement contre les manifestants restait impunie (...). C'est la première fois que des dirigeants sont tenus pour responsables de la mort de manifestants».

Abhisit et son plus proche collaborateur sont poursuivis en lien avec le décès de Phan Kamkong, chauffeur de taxi de 43 ans. Il avait été touché en mai 2010, dans une capitale plongée dans une terrifiante guérilla urbaine, par des tirs «provenant d'armes de personnels militaires», avait estimé une cour criminelle en septembre.

Le ou les soldats responsables n'ont pas été identifiés. Mais «quand l'armée agit sur ordre, elle est protégée», avait relevé Tarit la semaine dernière, soulignant que les soldats avaient obéi au gouvernement.