Le Pakistan a été le principal foyer de manifestations contre le film anti-islam L'innocence des musulmans, vendredi après la grande prière. La mobilisation très éclatée de plusieurs dizaines de milliers de personnes a parfois dégénéré en violences, faisant 15 morts et plus de 200 blessés.

Dans les autres pays musulmans, les protestations anti-américaines - et maintenant anti-françaises à la suite de la publication de nouvelles caricatures de Mahomet en France - sont restées limitées et sans violences après la prière.

Les autorités pakistanaises avaient décrété cette journée fériée, baptisée « Jour de l'amour du prophète », afin de permettre à la population de manifester pour la défense de l'islam et de Mahomet, tournés en ridicule dans le film américain de série B à petit budget diffusé sur l'internet.

Le bilan était en début de soirée de 15 morts - 10 à Karachi, la mégalopole du sud, et 4 à Peshawar, la plus grande ville du nord-ouest - et d'environ 200 blessés en comptant ceux de la capitale, Islamabad, où les manifestants étaient tenus à distance des ambassades occidentales.

Cela porte à 17 le nombre de morts recensés au total au Pakistan depuis le début des manifestations contre le film américain, la semaine dernière.

Alors que les marchés et autres commerces étaient totalement fermés, les manifestations se sont multipliées et intensifiées dans l'après-midi, après la prière, sous l'impulsion des influents partis islamistes et de certains groupes extrémistes.

Les premiers incidents graves ont éclaté dans la matinée à Peshawar, la principale ville du nord-ouest, région très conservatrice frontalière de l'Afghanistan, où des milliers de personnes ont manifesté.

Les protestataires ont saccagé et incendié deux cinémas, après quoi des heurts avec la police ont fait 5 morts et 79 blessés.

Dix personnes, un policier et neuf manifestants, ont aussi perdu la vie et plus de 100 ont été blessées lors d'affrontements à Karachi, mégapole du sud du pays, où des protestataires ont aussi incendié trois cinémas, trois banques et un restaurant de la chaîne américaine Poulet Frit Kentucky, selon la police.

Les forces de sécurité étaient particulièrement en alerte dans la capitale, Islamabad, où des barrages avaient été disposés pour éviter tout assaut contre l'enclave diplomatique où sont notamment installées les ambassades des États-Unis et de la France.

Près de 20 000 personnes ont manifesté aux cris de « Les Américains sont des chiens » et « Les amis des Américains sont des traîtres » près de l'enclave, en jetant des pierres à la police, qui a répliqué en tirant des grenades lacrymogènes. Les manifestants s'étaient dispersés en milieu de soirée.

Jeudi, des échauffourées au même endroit avaient fait 50 blessés.

Le premier ministre pakistanais, Raja Ashraf, avait pourtant appelé en début de journée la population à manifester pacifiquement, tout en condamnant fermement le film américain, une « attaque inacceptable » contre le prophète.

Les manifestations anti-américaines sont fréquentes au Pakistan, pays de 180 millions d'habitants où les puissants groupes islamistes dénoncent régulièrement l'alliance d'Islamabad avec les États-Unis.

Mais une telle vague de manifestations simultanées et pour les mêmes motifs y est plus inédite. Plus de 4000 personnes ont également manifesté à Lahore (est), la seconde ville du pays, plusieurs milliers à Multan (centre) et 30 000 à Muzaffarabad (est), la capitale du Cachemire pakistanais, selon la police.

Si les manifestants y ont affirmé leur hostilité envers les États-Unis et le film américain, ils n'ont pas mentionné les caricatures de Mahomet publiées en France par l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo.

Les États-Unis ont répété vendredi qu'ils n'avaient rien à voir avec le film anti-islam, produit sur leur territoire il y a un peu plus d'un an.

Missions diplomatiques occidentales en alerte

La Tunisie a interdit toute manifestation vendredi et les missions diplomatiques occidentales étaient en alerte dans plusieurs pays arabes de crainte de nouvelles violences.

La France a décidé de fermer ambassades, consulats et écoles dans une vingtaine de pays musulmans après la diffusion, mercredi, de caricatures du prophète Mahomet par l'hebdomadaire satirique français Charlie Hebdo.

En Tunisie, les établissements scolaires français ont été fermés mercredi jusqu'à lundi matin. En Égypte, écoles et centres culturels français ont été fermés jeudi par mesure de précaution, « même si aucune menace spécifique n'a été constatée en Égypte » selon le consulat de France.

Les États-Unis, pour leur part, ont annoncé avoir pris « des mesures fortes » pour protéger toutes leurs missions diplomatiques et consulaires dans le monde après l'attaque meurtrière contre leur consulat en Libye et plusieurs de leurs ambassades dans d'autres pays.

L'ambassade de Grande-Bretagne ainsi que les services consulaires allemands à Tunis étaient également fermés vendredi, selon leurs sites internet. Londres et Berlin avaient annoncé avoir pris des mesures pour protéger leurs représentations après des attaques contre leurs ambassades à Khartoum la semaine dernière.

Dans le centre de Tunis, un imposant dispositif de sécurité a été déployé, et la circulation automobile sera interdite durant une partie de la journée pour empêcher manifestations et violences, notamment devant l'ambassade de France, protégée par des barbelés et des camions militaires.

Le ministère tunisien de l'Intérieur a annoncé l'interdiction de toute manifestation dans le pays vendredi de crainte de violences similaires à celles du 14 septembre contre l'ambassade des États-Unis, qui ont fait 4 morts et 49 blessés.

Dans une interview à l'AFP, Rached Ghannouchi, le chef du parti islamiste Ennahdha, au pouvoir en Tunisie, a estimé que les salafistes djihadistes étaient un « danger » et que les autorités devaient « serrer la vis » après l'attaque de l'ambassade américaine.

L'imam de la mosquée Gazelle à l'Ariana, dans le grand Tunis, bastion de la mouvance salafiste, n'a pas appelé à des manifestations, contrairement au 14 septembre, a constaté un journaliste de l'AFP.

Au Caire, une dizaine de fourgons de la police antiémeute étaient stationnés autour de l'ambassade de France.

À Benghazi, dans l'est de la Libye, où l'ambassadeur Chris Stevens et trois autres Américains ont été tués le 11 septembre dans ce que les États-Unis ont qualifié d'attaque terroriste contre leur consulat, le groupe salafiste Ansar al-Charia a appelé à une manifestation pour défendre le prophète Mahomet.

Mais des militants exaspérés par la montée en puissance des groupes islamistes radicaux en Libye ont de leur côté appelé à un rassemblement pour « sauver Benghazi » de l'extrémisme et de la violence, ce qui fait craindre un dérapage.

10 000 manifestants au Bangladesh



Environ 10 000 personnes ont manifesté sans heurts au Bangladesh vendredi contre le film islamophobe et les caricatures de Charlie Hebdo, brûlant une effigie du président Obama et un drapeau français.

Les manifestants, dont plusieurs brandissaient des banderoles aux couleurs d'une dizaine de groupes islamistes, ont brûlé une effigie du président Barack Obama devant la mosquée Baitul Mokarram, à Dacca, la plus importante du pays.

Ils ont aussi brûlé un drapeau français tandis que des manifestants brandissaient des banderoles sur lesquelles on pouvait lire : « Obama, tu es un tricheur », « Monde musulman! Dénonce le déshonneur du prophète Mahomet! »

Des centaines de policiers, de membres du bataillon d'intervention rapide ainsi que des véhicules blindés et des canons à eau avaient été déployés pour renforcer la sécurité autour de la zone de manifestation.

Les autorités françaises ont fermé trois centres culturels et l'ambassade à Dacca en raison des risques de manifestation, a précisé la police.

Au Bangladesh, quelque 90% des 153 millions d'habitants sont musulmans.

Le gouvernement a condamné le film L'innocence des musulmans et bloqué le site de partage de vidéos YouTube.

Des dizaines de milliers de personnes étaient descendues dans les rues en 2006 pour protester contre la publication de caricatures du prophète Mahomet dans un journal danois.

Des centaines de Yéménites tentent de s'approcher de l'ambassade américaine

Des centaines de Yéménites sont descendus dans les rues de Sanaa sans pouvoir s'approcher de l'ambassade des États-Unis, fortement protégée par les forces de sécurité, a indiqué un correspondant de l'AFP.

Aux cris de « Mort à l'Amérique », « Mort à Israël », les manifestants, partis de la vieille ville après la prière musulmane hebdomadaire, ont tenté de se diriger vers l'ambassade, dans le nord de la capitale.

Mais les forces de sécurité, déployées à quelque 600 m de la chancellerie et appuyées par des véhicules blindés et des canons à eau, ont stoppé la progression des manifestants, qui répondaient à un appel des rebelles zaïdites, membres d'une communauté issue du chiisme.

Les manifestants ont scandé des slogans appelant « au départ de l'ambassadeur américain et des forces étrangères du Yémen », en allusion à une cinquantaine de marines dépêchés la semaine dernière en renfort pour la protection de l'ambassade à Sanaa.

Ces renforts ont fait suite à la mort le 13 septembre de quatre Yéménites lors d'une prise d'assaut de l'ambassade américaine par des manifestants. La foule s'est ensuite dispersée dans le calme, sous l'oeil vigilant des forces de l'ordre. 

Des manifestations étaient aussi prévues au Liban et chez les Palestiniens en Cisjordanie.

Le puissant mouvement chiite libanais Hezbollah a appelé à une manifestation après la grande prière hebdomadaire à Baalbek (est). Un autre rassemblement, cette fois à l'appel d'un dignitaire sunnite, devait se tenir à 10 h (heure de Montréal) à Beyrouth.

Le lycée français et le centre culturel de Tripoli (nord du Liban) ont été placés sous forte protection policière et militaire, et l'armée libanaise a renforcé sa présence autour de la résidence de l'ambassadeur de France à Beyrouth.

À Téhéran, le président Mahmoud Ahmadinejad a estimé que le film islamophobe était le fruit d'un « complot israélien » visant à « diviser les musulmans et à provoquer un conflit sectaire ».

Dans le reste du monde musulman, aucun mouvement violent n'a été recensé alors que la grande prière avait pris fin, même à Kaboul, où seules quelques petites manifestations anti-américaines et anti-françaises pacifiques ont été dénombrées.

Le film amateur Innocence of Muslims (L'innocence des musulmans), qui présente Mahomet et les musulmans comme des personnes brutales et immorales, a provoqué depuis le 11 septembre, jour anniversaire des attentats aux États-Unis en 2011, des manifestations parfois meurtrières dans le monde musulman.