Après la Russie, les États-Unis indisposent la Chine avec leur projet de bouclier antimissile. À la fin du mois d'août, des médias ont dévoilé l'implantation prochaine d'un ou deux radars de ce bouclier au Japon et en Asie du Sud-Est. Les analystes craignent que l'empire du Milieu n'accélère la conception de ses missiles sol-mer, qui pourraient empêcher les porte-avions américains d'aider Taïwan.

«La Chine a toujours pensé que les questions antimissiles devraient être abordées avec une grande discrétion, avec la perspective de protéger la stabilité stratégique globale.»

Le commentaire d'un porte-parole du ministère chinois de la Défense, fait au Wall Street Journal à la fin du mois d'août, était mesuré, mais clair: la volonté américaine d'installer un radar du bouclier antimissile au Japon, et peut-être un autre en Asie du Sud-Est, déstabilise l'équilibre des forces dans la région. L'annonce du radar X-Band survient moins d'un an après un «pivot» militaire américain de l'Atlantique vers le Pacifique, décidé par l'administration Obama.

«La Chine a mis en place une force intercontinentale nucléaire qu'elle juge suffisante pour décourager une attaque américaine contre le territoire chinois», explique en entrevue Andrew Nathan, politologue de l'Université Columbia, à New York, qui signe dans le dernier numéro de Foreign Affairs un essai sur la perception chinoise des États-Unis. «L'extension du bouclier antimissile au Japon en diminue l'efficacité. La Chine s'y oppose donc et considère qu'il s'agit d'une autre menace à la sécurité chinoise. Mais je crois que ce n'est pas une erreur de la part des États-Unis, parce que le Japon est un allié important qui a besoin du parapluie américain, particulièrement contre les missiles nord-coréens.»

L'empire du Milieu a élaboré au cours de la dernière décennie un projet stratégique à long terme. Tout d'abord, dominer le ciel et la mer entre ses côtes et la «première chaîne d'îles», qui comprend Okinawa et enserre Taïwan. Ensuite, dominer l'espace allant jusqu'à la «deuxième chaîne d'îles», ou à tout le moins y compliquer les activités de la marine américaine et de ses puissants porte-avions, garants de l'indépendance de Taïwan.

Si les Chinois parviennent à leurs fins, ils pourraient imposer leur volonté aux Philippines, l'un des principaux alliés américains de la région.

 

Okinawa, bastion crucial

Okinawa abrite une base aérienne américaine qui serait cruciale pour défendre Taïwan contre une invasion chinoise. En 2008, le groupe de réflexion californien Rand a fait une analyse de la défense de Taïwan en 2020, dont l'un des volets postulait que la base d'Okinawa devrait être abandonnée parce qu'elle serait menacée par les missiles chinois. Les F-22 américains devraient partir de la base de Guam, dans la deuxième chaîne d'îles, mais à cause de la distance, seulement six d'entre eux pourraient patrouiller au-dessus de Taïwan en même temps. Leurs 48 missiles abattraient autant de Sukhoi-27 chinois, mais comme ces derniers seraient au nombre de 72, ils pourraient abattre les avions ravitailleurs américains, et les F-22 n'auraient pas assez de carburant pour rentrer à Guam.

Cette étude est régulièrement citée dans les analyses de la rivalité sino-américaine dans le Pacifique. Le F-22 est considéré par plusieurs comme le chasseur le plus sophistiqué au monde, mais seulement 187 avions ont été construits, alors que les plans initiaux en prévoyaient 750.

Marshall Hoyler, un marine à la retraite qui a enseigné au Collège naval de Newport, au Rhode Island, est plus optimiste. Dans une étude publiée en 2010, il avance que des «défenses passives», comme des bunkers à la base d'Okinawa, pourront mettre en échec les progrès des missiles sol-mer chinois, qui sont présentement à l'étape finale de tests opérationnels, selon la marine américaine.

«Le problème, c'est que la défense passive, ce n'est pas très sexy dans un budget, explique-t-il en entrevue. Les représentants au Congrès ne la défendront pas, parce que ça ne bénéficie pas à leur comté. J'espère simplement que la mafia des chasseurs, qui ne jurent que par les F-22, vivent leurs dernières heures de gloire.»

Il ne faut pas non plus oublier que la Chine aurait probablement trop à perdre pour attaquer Taïwan ou un navire américain, selon Rodger Baker, vice-président à l'analyse pour l'Asie de l'Est à la firme texane d'analyse géopolitique Stratfor. «S'il y avait une guerre entre les deux pays, les États-Unis pourraient produire d'autres F-22 et facilement reprendre le contrôle, même à l'intérieur de la première chaîne d'îles. La Chine ne prendra pas ce risque.»

L'ARSENAL CHINOIS

Types de missile

> Intercontinental

Nombre : 50-75

Portée : 5400-13 000 km

> Intermédiaire

Nombre : 5-20

Portée: 3000 km

> Moyen

Nombre : 75-100

Portée : 1750 km

> Court

Nombre : 1000-1200

Portée : 300-600 km

Source : Wall Street Journal