La Birmanie n'a rien su pendant 50 ans des luttes d'influence qui se jouaient sous le règne de la junte. Mais avec les réformes politiques, celles-ci sont désormais déballées sur la place publique, au fur et à mesure que le pays découvre ses nouvelles institutions.

Fini la junte d'apparence monolithique, entre les mains d'un seul homme, et le temps où les luttes de pouvoir n'étaient révélées qu'après coup, avec l'arrestation d'un général ou l'avènement d'une nouvelle junte.

Le pays, gouverné depuis mars 2011 par une équipe d'ex-généraux réformateurs, fonctionne avec une nouvelle Constitution. Adoptée en 2008 par la junte alors au pouvoir, elle a instauré un parlement bicaméral, au sein duquel les députés ont pris goût à leurs fonctions.

Un nouveau cadre qui permet un affrontement public entre le chef de l'État Thein Sein et le président de la chambre basse du parlement, Shwe Mann, considéré comme le principal prétendant au poste suprême à l'issue des élections de 2015.

Les deux hommes «ont des réflexes hérités de la junte. Mais la démocratie est devenue un enjeu», constate un diplomate étranger, qui estime qu'ils se livrent à une «surenchère» quant à celui qui sera «le plus grand démocrate».

De l'avis des observateurs, leurs relations se seraient gâtées dans les mois qui ont précédé la dissolution de la junte.

Plusieurs sources ont décrit à l'AFP la surprise des deux protagonistes lorsque Thein Sein a été désigné futur président, alors que Shwe Mann, pourtant hiérarchiquement supérieur au sein du régime militaire de l'époque, n'héritait que de la chambre basse.

Ils n'ont depuis cessé de rivaliser. Ceux qui ne s'adressaient jamais à la presse se sont mis à organiser interviews et conférences de presse. Et lorsque l'un bloque le projet de l'autre, le retour de bâton ne se fait pas attendre.

Jeudi, la chambre basse a voté la destitution de la Cour constitutionnelle, conclusion d'une passe d'armes de plus de six mois. Les neuf magistrats, saisis par le président Thein Sein, avaient outré les députés en février en privant les comités et commissions du parlement du pouvoir de sommer les ministres de s'expliquer devant eux.

La décision réduisait leurs prérogatives face à l'exécutif et accessoirement le train de vie des présidents de commission. La joute a tourné en quasi-crise de régime et n'est peut-être pas terminée.

«C'est une lutte personnelle», a admis Zaw Htet Htwe, ex-journaliste libéré de prison en janvier. Il n'en dira pas plus de peur des représailles.

Shwe Mann a «pris beaucoup de risque» en allant au conflit, confirme un analyste étranger installé à Rangoun. «Il va se mettre beaucoup de monde à dos, et pas seulement les conservateurs de régime, mais aussi Thein Sein et les magistrats».

Certains acteurs craignent que l'armée, théoriquement neutre, s'impatiente et y voie une menace pour l'exécutif. D'autres soulignent que le rythme des réformes économiques en a été ralenti, notamment l'adoption de nouvelles lois, dans un pays qui doit rattraper son retard après 50 ans de gestion militaire.

Mais les plus ardents défenseurs des réformes minimisent la querelle personnelle et voient surtout dans ces bagarres l'apprentissage de la démocratie.

La crise de la Cour constitutionnelle, affirme ainsi Aung Tun Htet, un intellectuel birman respecté, souligne le besoin pour les nouvelles institutions de comprendre comment s'articule leur pouvoir dans le nouveau paysage politique.

«Ça fait partie du processus d'apprentissage», résume-t-il. «Nous construisons notre navire en pleine mer».

Mais ces ex-généraux, qui peu à peu ont convaincu l'Occident et une bonne partie de l'opposition de leur sincérité, n'ont pas le droit à l'erreur. Il leur faut apporter des changements concrets dans la vie des Birmans, et la paix avec les minorités ethniques aux confins du pays.

Sous peine de perdre leur crédibilité.

«On ne peut pas se permettre de voir détourner le calendrier des réformes», prévient Aung Tun Htet. «La question, (...) c'est comment obtenir des résultats rapidement, sans perdre le fil de nos objectifs finaux. C'est le paradoxe, le défi et le test de nos dirigeants».