Les journalistes birmans ont été libérés cette semaine de la chape de plomb de la censure, mais aucun d'entre eux ne se prend à crier victoire: la liberté, disent-ils à l'unisson, ne passera que par une profonde réforme législative qui devra garantir leurs droits.

La législation en vigueur en Birmanie demeure la Loi sur l'enregistrement des imprimeurs et éditeurs, promulguée en 1962, l'année du premier coup d'État qui a plongé le pays dans un demi-siècle de pouvoir militaire.

De quoi entretenir la prudence de la profession. «Je salue le changement des règles de la censure, mais ce ne sera pas la dernière et nous ne sommes pas devenus une presse libre pour autant», tranche sans détour Nyein Nyein Naing, directrice exécutive de l'hebdomadaire 7Days News.

«Tant que la loi de 1962 demeure sans être amendée, la véritable liberté de la presse sera toujours en question».

Parmi le foisonnement législatif qui a saisi ces derniers mois le parlement birman figure précisément la future loi sur la presse. Mais même si quelques journaux ont été consultés, le projet est resté confidentiel et sa promulgation ne devrait pas être immédiate.

«Nous devons conserver un oeil attentif sur l'authentique liberté qu'offrira la loi sur les médias à venir, et aussi sur le contrôle et les restrictions qui demeureront», souligne à cet égard Thiha Saw, rédacteur-en-chef du magazine Open News.

Cette circonspection n'est pas surprenante, 18 mois seulement après le départ des militaires et la mise en place d'anciens généraux certes réformateurs, mais dont le CV s'inscrit dans les plus grandes heures de l'ancienne junte.

Et même si les réformes du président ont pris de cours les plus sceptiques, les observateurs craignent que le nouveau régime veuille modifier son image et obtenir la levée des sanctions internationales, plus que réformer en profondeur la liberté de la presse.

«Les journalistes prennent toujours le risque d'être emprisonnés, harcelés, intimidés. Donc au mieux, c'est une demi-mesure», juge ainsi Shaw Crispin, représentant en Asie du Sud-Est du Comité américain de protection des journalistes (CPJ).

«Vous pouvez publier un papier sans consulter le comité de censure, mais si ce que vous publiez est critique, ou s'ils le perçoivent comme tel, vous êtes sujets à de nouvelles formes de menaces».

Reporters sans frontières, qui classe le pays 169e sur 179 en matière de liberté de la presse, reste elle aussi très réservée, notamment sur les risques de censure post-publication.

Mercredi, un tribunal a écouté la plainte en diffamation du ministère des Mines contre l'hebdomadaire Voice Weekly. Citant des parlementaires anonymes, le journal avait écrit que le Bureau de l'auditeur général, équivalent de la Cour des comptes, avait découvert des fraudes dans quatre ministères, dont son adversaire du jour.

Les juges diront le 6 septembre s'ils donnent suite à la plainte.

«Nous sommes face à une affaire qui menace toute l'industrie des médias,» a estimé après l'audience Kyaw Min Swe, rédacteur-en-chef de Voice Weekly, jugeant que l'affaire permettrait de jauger comment les «trois pouvoirs - exécutif, législatif et judiciaire, ndlr - considèrent le quatrième».

Zaw Thet Htwe, journaliste et ex-prisonnier politique, couvrait l'audience, portant comme plusieurs autres une casquette noire avec l'inscription en blanc «Press freedom», prêt à militer pour que «le quatrième pouvoir obtienne une totale liberté et puisse travailler pour le pays dans cette difficile période de transition».

Des journalistes ont déposé une demande d'autorisation de manifester le 28 août pour la liberté de la presse. Jeudi, la police a refusé. Les organisateurs devaient se réunir dans la journée pour discuter de la suite à donner à leur projet.