Depuis le mois de juin, les musulmans rohingyas et les bouddhistes arakanais s'affrontent dans l'ouest de la Birmanie, à la frontière du Bangladesh. La crise a fait plus de 80 000 réfugiés rohingyas, dont la citoyenneté n'est généralement pas reconnue par l'État birman. Des sites islamistes, photos frauduleuses à l'appui, y voient un génocide. La Presse s'est entretenue avec Matthew Smith, auteur d'un rapport récent de Human Rights Watch sur les Rohingyas, en entrevue téléphonique depuis Kuala Lumpur en Malaisie.

Q: Ce que vous avez vu lors de votre séjour dans l'État d'Arakan est-il un génocide ou de la violence interethnique?

R: Tout a commencé en juin par des allégations de viol d'une jeune bouddhiste arakanaise par des musulmans rohingyas. Des Arakanais ont attaqué des Rohingyas et vice-versa. Au départ, les autorités fermaient les yeux. Mais assez rapidement, après que des moines bouddhistes eurent appelé à des représailles contre les Rohingyas, elles ont commencé à aider les Arakanais, voire même à viser directement les Rohingyas. Les choses se sont un peu améliorées en août, depuis que le gouvernement a permis aux ONG d'aider les deux communautés. Mais les conditions préalables sont en place pour un nettoyage ethnique. Le président birman a avancé que la solution était d'expulser les Rohingyas qui n'ont pas la citoyenneté.

Q: D'où viennent les photos de charniers inspectés par des moines bouddhistes, qui servent à étayer des accusations de génocide contre les Rohingyas?

R: Ce sont des photos prises durant des catastrophes naturelles il y a quelques années. Il y a beaucoup d'informations erronées sur l'internet. Elles jettent un discrédit sur le Rohingyas, dont le sort est réellement déplorable.

Q: Pourquoi qualifie-t-on les Rohingyas de Roms d'Asie du Sud-Est?

R: La Constitution birmane de 1982 ne donne pas la citoyenneté aux 800 000 Rohingyas, à moins qu'ils ne prouvent que leurs ancêtres habitaient Arakan avant 1824, l'année de la conquête britannique. Il existe aussi une citoyenneté spéciale, moins complète, pour ceux qui peuvent prouver que leurs ancêtres habitaient Arakan avant l'indépendance en 1948. Les incendies des quartiers rohingyas détruisent justement ces preuves.

Q: Les partis arakanais affirment que la majorité des Rohingyas sont arrivés du Bangladesh durant la colonisation britannique, quand Arakan faisait partie de l'Inde, et qu'ils se sont aliénés le Bangladesh en appuyant le Pakistan durant la guerre d'indépendance du Bangladesh, en 1971.

R: C'est vrai. Mais cela fait longtemps et ça ne peut justifier l'expulsion de Rohingyas. Pour ce qui est du Bengladesh, il est inacceptable que ses gardes-frontières ne rejettent à la mer des embarcations de réfugiés rohingyas.

Q: Que font les autres musulmans de Birmanie?

R: Ils sont pris entre deux feux à Arakan. Ailleurs en Birmanie, ils sont plusieurs millions et ont souscrit à la théorie que ce n'est pas un conflit religieux mais un problème ne concernant que les Rohingyas.

Q: Pourquoi les ONG sont-elles vues avec méfiance par les bouddhistes arakanais?

R: Elles ont pour mission d'aider les plus mal pris, et dans cette région pauvre, il s'agit des Rohingyas. Le Haut-commissariat aux réfugiés de l'ONU ne peut évidemment s'occuper que des Rohingyas. Les Arakanais considèrent les Rohingyas comme des étrangers qu'ils sont bien gentils de tolérer. Ils ne comprennent pas qu'ils aient droit à l'aide étrangère, et eux non. Surtout que les Arakanais ont aussi souffert sous le régime militaire.

Q: La géographie joue-t-elle un rôle?

R: C'est la région la plus orientale conquise par les royaumes musulmans moghols de l'Inde, et seulement brièvement. C'est donc l'extrémité occidentale du bouddhisme. L'Arakan est aussi séparé du reste de la Birmanie par des montagnes, et a été un royaume indépendant jusque tout juste avant la conquête britannique. Mais le poids de l'histoire aurait pu être effacé par le gouvernement. Au contraire, en rendant les Rohingyas apatrides et en opprimant les deux communautés, il a empiré la situation.