Dans le village d'Asara, à 50 km au nord de Delhi, les anciens veulent protéger l'honneur de leur caste... en séparant les amoureux. L'initiative soulève la controverse dans les médias et dans la classe politique où cette décision est jugée illégale.

Avec ses maisons en briques, ses ruelles bordées par un couloir d'égout à ciel ouvert et ses champs de canne à sucre, Asara était encore une bourgade anonyme de l'Inde rurale la semaine dernière. Aujourd'hui, le village de l'État de l'Uttar Pradesh fait la une de la presse indienne.

Le 6 juillet, le panchayat du village, conseil des anciens de 15 membres, s'est réuni devant la mosquée et a passé une série de règles draconiennes: interdiction des mariages d'amour et du téléphone portable pour les jeunes, interdiction pour les filles de sortir seules au marché.

L'initiative a immédiatement fait scandale. Les journaux indiens ont vite surnommé Asara, dont la population est à 90% musulmane, le «village taliban».

Malgré les critiques, les villageois ne se laissent pas intimider par la pression médiatique. «Nos décisions sont nécessaires, se défend Mohammad Mohkam qui siège au sein du panchayat. Nous protégeons l'honneur de nos filles, explique cet homme d'une cinquantaine d'années, cheveux noirs en bataille et teint hâlé. Trop de jeunes utilisent les téléphones portables pour nouer des relations sans prévenir leurs parents.»

Les villageois approuvent les décisions du panchayat. «De plus en plus de couples se marient contre l'avis de leur famille, déplore Khalil Ahmad, commerçant. Certains sont des adolescents. Ils quittent leurs parents sans autorisation et enfreignent l'autorité des aînés. C'est inacceptable.»

Assis à ses côtés, Nurdeen, père de cinq enfants, acquiesce. «Quand un jeune se marie sans consulter ses parents, la famille perd son honneur et le village a mauvaise réputation. Comment je fais ensuite pour marier mes filles et leur trouver un bon parti?» L'air outré, Nurdeen raconte comment il y a quelques mois, un homme de 40 ans a quitté sa femme et ses enfants pour aller vivre avec une autre femme plus jeune. De quoi couvrir le village de honte dans toute la région.

Les panchayats n'ont aucune autorité juridique, mais sont respectés par la population. Ils se réunissent pour régler des conflits et protéger l'honneur de la communauté, qui appartient à une caste. À Asara, les villageois sont des Jats, une caste d'agriculteurs qui rechigne à se mélanger aux castes inférieures. «La décision prise par le panchayat vise à décourager les mariages intercastes», estime Badri Narayan, professeur d'anthropologie à l'Université d'Allahabad. Et il ajoute: «L'État ne peut rien faire. Les politiciens locaux ont besoin du soutien des Jats pour être réélus.»

Depuis qu'Asara fait la une de la presse, les mouvements féministes multiplient les déclarations outrées. Journalistes et intellectuels montrent du doigt une entrave inacceptable aux libertés individuelles. Signe que le fossé intellectuel entre les élites urbaines et les populations rurales se creuse.

Le ministre indien de l'Intérieur, Palaniappan Chidambaram, a appelé le panchayat à revenir sur sa décision. Sa requête a peu de chances d'aboutir. La police locale a bien essayé d'emmener deux membres du panchayat au commissariat pour les interroger. Bilan: deux policiers passés à tabac.

Au pays des mariages arrangés 

Malgré les films bollywoodiens à l'eau de rose qui célèbrent les histoires d'amour impossibles à la Roméo et Juliette et même si l'initiative du village d'Asara de bannir les mariages d'amour scandalise les médias et la classe politique indienne, ces unions matrimoniales sont encore l'exception qui confirme la règle en Inde, où les mariages arrangés sont toujours la norme, autant chez les hindous et les sikhs que chez les musulmans et les bouddhistes.

Une récente statistique d'UNICEF estime à 90% le nombre de mariages indiens organisés de toutes pièces par les familles des futurs époux. 

- Avec Laura-Julie Perrault