La chef de file de l'opposition birmane Aung San Suu Kyi est arrivée mardi à Bangkok pour une visite de plusieurs jours, premier voyage à l'étranger depuis 24 ans de l'icône mondiale de la démocratie, enfin à même de renouer un lien avec l'extérieur.

L'avion de la lauréate du prix Nobel de la paix s'est posé dans la capitale thaïlandaise vers 22 h (10 h, heure de Montréal). « Je ne ressens rien de particulier. Cela fait partie de mon travail », a-t-elle déclaré à l'AFP, peu avant son départ de Rangoun.

L'ennemie publique numéro un de la junte jusqu'à la dissolution de celle-ci en mars 2011 est désormais une personnalité majeure de la scène politique birmane, leader du premier parti de l'opposition, la Ligue nationale pour la démocratie (LND).

Après avoir été enfermée à Rangoun et avoir refusé de quitter le pays de peur de ne jamais pouvoir y revenir, elle va goûter pour la première fois depuis 1988 à une authentique liberté de mouvement.

Et elle témoignera du même coup de sa confiance dans les réformes entreprises par le nouveau régime, d'anciens militaires réformateurs avec lesquels elle a décidé de travailler, au premier rang desquels le président et ex-premier ministre de la junte, Thein Sein.

« Elle a confiance dans sa situation et dans le processus de réconciliation et de réformes politiques en cours », a estimé Pavin Chachavalpongpun, chercheur au Centre d'études sur l'Asie du Sud-Est de l'Université de Kyoto, au Japon.

Son voyage confirme aussi qu'elle dispose du soutien de ceux qu'elle a si longtemps combattu, et qui attendent d'elle aujourd'hui qu'elle participe au retour de la Birmanie sur la scène internationale.

« Avant que les sanctions ne soient levées, le gouvernement a besoin de légitimité comme jamais, donc c'est ce qu'il attend du voyage de Suu Kyi », a ajouté Pavin, la décrivant comme « une ambassadrice de bonne volonté » du régime de Naypyidaw.

La députée, 66 ans, rencontrera la première ministre thaïlandaise Yingluck Shinawatra à une date encore non précisée, a indiqué à l'AFP le secrétaire général de la chef du gouvernement, Thawat Boonfeung.

Mercredi, elle se rendra dans la province de Samut Sakhon, au sud de Bangkok, pour rencontrer des immigrés birmans, ont précisé de leur côté des ONG spécialisées. Une façon pour elle « de renouer un lien brisé avec ceux qui vivent à l'extérieur du pays », selon Pavin.

Les Birmans représentent 80 % des deux millions d'immigrés enregistrés en Thaïlande. Bien d'autres y vivent sans papiers, et beaucoup sont victimes d'exploitations en tout genre dans un pays qui dépend lourdement de la main-d'oeuvre étrangère.

Suu Kyi devrait également se rendre dans le nord de la Thaïlande où une dizaine de camps de réfugiés abritent depuis des années quelque 100 000 Birmans, chassés de leur pays par les combats entre l'armée et des rebelles de minorités ethniques.

Elle s'exprimera enfin au Forum économique mondial pour l'Asie de l'Est auquel participeront de nombreuses personnalités, dont des chefs d'État de la région.

Thein Sein aurait également dû assister au Forum. Mais il a annoncé lundi avoir reporté sa visite à la semaine prochaine. Sans doute pour éviter que la « Dame » de Rangoun ne lui subtilise les flashes des photographes dans une capitale thaïlandaise suspendue à ses moindres faits et gestes.

Placée pour la première fois en résidence surveillée en 1989, Suu Kyi a passé au total 15 ans privée de liberté, avant d'être finalement libérée en novembre 2010. Elle a reçu début mai son premier passeport depuis 20 ans.

Ce premier voyage accompli, elle effectuera mi-juin une tournée historique en Europe lors de laquelle elle prononcera à Oslo le discours qu'elle n'avait pas pu donner lorsqu'elle avait reçu son prix Nobel, en 1991.

Elle se rendra aussi notamment en Grande-Bretagne, où elle a fait ses études et vécu plusieurs années avec son défunt mari et ses enfants. Avec l'insigne honneur de s'exprimer devant les parlementaires des deux chambres, à Londres, le 21 juin.