La disgrâce du dirigeant Bo Xilai a porté un coup aux intérêts canadiens en Chine. Depuis deux décennies, Ottawa entretenait une étroite relation avec celui qui était jusqu'à tout récemment une étoile montante de la politique chinoise, explique notre collaborateur.

Le premier ministre Stephen Harper a pris la peine de lui rendre visite en février dernier, alors qu'il était destiné aux plus hautes fonctions de l'État chinois. Jean Chrétien disait de lui qu'il était un «ami». Et le 23 novembre dernier, il était l'un des invités d'honneur à l'assemblée générale annuelle du Conseil commercial Canada-Chine, dans la ville de Chongqing alors sous sa direction.

Étaient notamment présents Jean Chrétien et d'anciens membres de son cabinet, ainsi qu'André Desmarais, président et co-chef de la direction de Power Corporation, et l'ancien ministre conservateur Stockwell Day.

Depuis plus de 15 ans, Bo Xilai était l'un des hommes les plus en vue non seulement dans son propre pays, mais aussi auprès d'hommes d'affaires et de politiciens canadiens. Mais depuis que cet ancien secrétaire du Parti communiste de Chongqing a été démis de ses fonctions, le 15 mars, sa chute est aussi rapide que spectaculaire.

La descente aux enfers de Bo Xilai constitue le plus important bouleversement politique au pays depuis les événements de la place Tiananmen, en 1989. «Pour bien en saisir la portée, c'est un peu comme si Stephen Harper réussissait à congédier Jean Charest», illustre le sinologue Loïc Tassé, de l'Université de Montréal. À six mois de la succession qui portera au pouvoir en Chine une nouvelle génération de dirigeants, son limogeage se traduit pour les intérêts canadiens - du moins dans l'immédiat - par la perte d'un réseau qui rejoint les plus hautes sphères de l'État chinois.

La chose est si sérieuse que les bureaux chinois de la firme de consultation APCO Worldwide ont recommandé, dans un rapport publié le mois dernier, aux sociétés étrangères ayant des intérêts à Chongqing «d'examiner de près ce que le remaniement pourrait signifier pour leurs entreprises».

Disgrâce et mystère

«Elles devront aussi évaluer de quels législateurs proviennent ces décisions [passées ou à venir], et établir les liens organisationnels et individuels entre chacun», ajoute-t-il, tout en précisant qu'il «faut aussi reconnaître les mérites de ces succès du passé, qui résisteront au passage du temps».

L'origine de la déroute de Bo Xilai remonte à février. Éclate alors une histoire mystérieuse dans le cadre de la lutte controversée qu'il mène contre le crime organisé à Chongqing.

Wang Lijun, son homme de confiance, engagé dans cette lutte, demande en vain l'asile politique aux Américains. Dans la foulée, les médias se mettent à publier des révélations sur la fin sordide d'un homme d'affaires britannique, Neil Heywood. Proche des cercles de Bo Xilai, il a été trouvé mort dans une chambre d'hôtel de Chongqing en novembre 2011. Les autorités locales avaient alors rapidement déclaré que ce dernier était mort d'une surconsommation d'alcool, et avaient procédé à la crémation du corps sans faire d'autopsie.

Des rumeurs récentes ont évoqué un lien entre la mort de Heywood et la femme de Bo Xilai, en alléguant un litige entre les deux personnes peu avant la mort du Britannique.

Les deux histoires, ainsi que des allégations de recours à des méthodes fortes - y compris la torture - dans la gestion de sa lutte contre la corruption, jettent de l'ombre sur celui qu'on surnomme le Prince rouge de Chongqing.

Faut-il pour autant en conclure que la controverse signe l'arrêt de mort de Bo Xilai? «Rien n'est encore joué, estime M. Tassé. Restons prudents. Et comme Bo Xilai demeure très populaire en Chine, il vaut mieux éviter les prédictions.»