Quand les inondations ont gagné son quartier, l'eau est entrée dans la maison d'Arunee Ninkaew par les canalisations, entre les carreaux du plancher, à travers les murs. Un mois plus tard, les journaux n'en parlent presque plus, mais l'eau est toujours là, putride.

Cette femme de 48 ans vit dans une seule pièce du premier étage, avec un mari diabétique, sa belle-mère et son petit-fils. Du rez-de-chaussée inondé, envahi de détritus, émane une odeur pestilentielle qui semble installée pour l'éternité.

Alors elle se réveille la nuit. «Je me demande quand. Quand cette eau va-t-elle partir?».

La Thaïlande a été confrontée depuis juillet à ses pires inondations depuis cinquante ans, qui ont fait plus de 600 morts. Aujourd'hui, l'heure est au nettoyage, aux comptes et aux stratégies pour redémarrer l'appareil productif.

Mais on circule encore en bateau dans le district de Don Mueang, où vit Arunee et sa famille.

Elle et ses voisins se considèrent comme des oubliés des autorités, maintenant que le centre-ville financier et commercial n'est plus menacé et que les grands magasins détruisent avec bonheur les murs de sacs de sable bâtis il y a quelques semaines, au cas où l'eau arriverait jusqu'à eux.

Pour épargner les forces vives de son économie, le pouvoir a érigé d'immenses digues qui, tout en protégeant le centre, ont submergé les quartiers qui se trouvaient du mauvais côté des barrières.

Les beaux quartiers sont restés indemnes.

Mais plus d'un mois après, la colère est vive chez les sinistrés. Les journaux font état de manifestations et d'incidents quasi-quotidiens, les résidents des zones inondées se rassemblant parfois pour ouvrir des brèches et évacuer l'eau plus vite.

«Je regarde les informations jusqu'à en devenir dingue. Je vois la ville à sec alors que personne ne vient voir le niveau d'eau ici. Le gouvernement se fiche de nous», proteste Arunee.

Par endroits, les eaux stagnantes ont été gagnées par des larves d'insectes. Les murs pourrissent dans la moiteur, les nuages de moustiques sont visibles dans l'ombre.

«On ne s'attendait pas à ça, ni à ce que cela dure aussi longtemps. On a vraiment souffert. C'est très dur».

Elle gagne sa vie en vendant de la petite épicerie, mais elle n'a pas pu travailler depuis le début des inondations et ni son mari, ni sa belle-mère n'ont quitté la maison. Ils survivent donc avec de l'argent envoyé par son fils et tuent le temps dans cette petite chambre du premier, abrutis par la télévision.

Quelque 42 000 personnes sont encore hébergées dans des centres d'évacuation autour de la capitale. Mais beaucoup sont restés chez eux, à l'image de la vingtaine d'habitations encore occupées autour de chez Arunee.

Son voisin, Anuroj Jaisaard, se demande encore comment le désastre a pu prendre de telles proportions, dans un pays habitué aux moussons abondantes et aux inondations annuelles.

«Ne me faites pas parler politique, je ne sais pas m'arrêter», dit-il à l'AFP, en pêchant depuis le premier étage de sa maison. «Mais ce n'est pas une situation normale. Ce n'est pas naturel. Quelqu'un doit en assumer les responsabilités».

La première ministre Yingluck Shinawatra a déclaré la semaine dernière que la capitale était totalement hors de danger. Mais Arunee a du mal avec ce discours.

«Je veux qu'elle aide les pauvres pour qu'ils puissent reprendre le travail», réclame-t-elle. «Ce village a été oublié».

Le ministre de la Défense, le général Yutthasak Sasiprapa, a estimé de son côté que les inondations auraient disparu avant le Nouvel An, en redemandant aux sinistrés d'être patients. Pour Arunee et ses voisins, c'est beaucoup demander.