Un sexagénaire a été condamné mercredi à vingt ans de prison en Thaïlande pour l'envoi de SMS jugés insultants envers la monarchie, en vertu d'une des lois les plus sévères du monde, mais qui fait désormais l'objet d'un débat de plus en plus vif au sein de la société.

Ampon Tangnoppakul, 61 ans, avait été arrêté en août 2010 pour avoir envoyé au mois de mai précédent quatre messages au secrétaire personnel du premier ministre de l'époque, Abhisit Vejjajiva. Des SMS que la police avait estimés «inappropriés» et «insultants envers la monarchie».

«Le tribunal l'a condamné à vingt ans de prison», a indiqué son avocat Anon Nampa à l'AFP, précisant qu'il avait plaidé «non coupable».

La famille royale, qui n'a aucun rôle politique officiel, est un sujet tabou en Thaïlande où le roi Bhumibol Adulyadej, 83 ans, jouit auprès de certains de ses sujets d'un statut de demi-dieu.

Les poursuites et condamnations pour lèse-majesté se sont multipliées depuis le coup d'État militaire de 2006 contre le premier ministre Thaksin Shinawatra, aujourd'hui en exil et considéré par les élites de Bangkok comme un danger pour l'institution.

Selon Human Rights Watch, le nombre de cas serait passé de 164 en 2009 à plus de 400 en 2010. Et bien d'autres organisations de défense des droits de l'homme ont accusé le pouvoir précédent, proche de l'establishment, de s'en servir pour faire taire toute voix dissonante.

Depuis, Yingluck Shinawatra a gagné les élections et émis le voeu que cette loi ne soit pas utilisée de façon «inappropriée». Mais la soeur de Thaksin a aussi assuré qu'elle ne prévoyait pas de l'amender.

«Ce gouvernement s'est avéré tout aussi répressif à l'égard de la liberté d'expression que son prédécesseur», a regretté mercredi Benjamin Zawacki, d'Amnistie Internationale, estimant que celui qui est appelé «Oncle SMS» dans les médias était «probablement» un prisonnier de conscience.

Le sujet est en tout cas de plus en plus fréquemment mis sur la table dans les débats de société.

La Commission Vérité et Réconciliation, mise en place par le précédent gouvernement, a ainsi appelé en septembre à libérer les prévenus et à revoir les cas déjà clos.

Cette commission indépendante avait estimé que la loi était «directement liée au conflit politique» qui mine le pays, profondément divisé entre masses populaires favorables à Thaksin et élites royalistes (armée, magistrats, hauts fonctionnaires) qui le détestent.

Le gouvernement n'a pour l'instant pris aucune décision.

De son côté, le pouvoir judiciaire a prouvé par le verdict de mercredi qu'il n'était «pas disposé à tolérer ce qu'il perçoit lui-même comme toute apparence de contestation contre l'institution prépondérante du pays», a commenté Paul Chambers, de l'Université Payap de Chiang Mai.

«Cette inquisition judiciaire étouffe la dissidence, la liberté d'expression et sape le chemin de la Thaïlande vers la démocratie», a-t-il ajouté, évoquant une «chasse aux sorcières».

En octobre, l'ONU avait estimé que cette loi «encourageait l'autocensure et étouffait des débats importants sur des sujets d'intérêts publics». Le ministère des Affaires étrangères avait alors admis qu'elle avait pu peser «par inadvertance» sur les libertés publiques, promettant d'en «empêcher les abus».

Alors que la législation permet à n'importe qui de déposer une plainte, le ministère défend la création d'une commission au sein de la police pour s'assurer que chacune ait un «fondement juridique» solide.

Et parmi les récentes affaires, figure le cas d'un universitaire respecté, Somsak Jeamteerasakul, accusé par un officier de l'armée d'insulte à la monarchie après avoir appelé à une réforme de l'institution.p-abd/dla/pm