Le très emblématique procès de trois cadres politiques du régime khmer rouge s'est ouvert lundi à Phnom Penh, permettant à l'accusation de rappeler les heures les plus noires du Cambodge, transformé pendant près de quatre ans en «un immense camp d'esclavage».

Les plus hauts responsables encore en vie du régime marxiste totalitaire de Pol Pot (1975-79) sont accusés de génocide, crimes de guerre et crimes contre l'humanité, dans une procédure qui durera des années et concerne 4000 parties civiles.

Des centaines de Cambodgiens -moines, étudiants et survivants- se sont entassés dans la salle d'audience, séparés des accusés par une immense vitre dans un bâtiment construit en banlieue de la capitale.

Ils ont pu y apercevoir, stoïques, l'idéologue du régime Nuon Chea, l'ex-ministre des Affaires étrangères Ieng Sary et le président du «Kampuchea démocratique» Khieu Samphan.

Manquait en revanche l'ex-ministre des Affaires sociales et «première dame» Ieng Thirith, épouse de Ieng Sary, qui souffre de pertes de mémoire, de démence et probablement de la maladie d'Alzheimer, et a été déclarée inapte à être jugée.

Les juges avaient demandé sa libération la semaine dernière, mais les procureurs avaient fait appel. La chambre d'appel a ordonné son maintien en détention jusqu'à la décision définitive, d'ici 15 jours.

«Le parti communiste du Kampuchéa a transformé le Cambodge en un immense camp d'esclavage, imposant à une population entière un système dont la brutalité continue jusqu'à aujourd'hui de défier l'entendement», a déclaré la procureure cambodgienne, Chea Leang.

La magistrate a évoqué «la nature impitoyable» des évacuations des villes, les «conditions insupportables» des sites de travail forcé ou encore les mariages en vertu desquels les victimes étaient «forcées d'avoir des relations sexuelles» avec leur partenaire désigné, sous peine d'exécution.

«Ces crimes (...) comptent parmi les pires jamais infligés à une Nation dans l'Histoire moderne», a-t-elle ajouté, citant un camp de travail du nord-ouest du pays où 70 à 80 personnes mouraient chaque jour.

Mais les attentes des victimes risquent d'être déçues par les octogénaires, qui rejettent les accusations.

Seul Khieu Samphan avait promis de coopérer en juin lors de l'ouverture technique du procès. Nuon Chea avait pour sa part quitté la salle d'audience. Et Ieng Sary a annoncé depuis qu'il ne témoignerait pas.

Alors que beaucoup craignent que certains ne meurent avant d'entendre un verdict, le tribunal, souvent accusé de lenteur, a découpé le procès pour accélérer la procédure. Le segment ouvert lundi est consacré aux déplacements de population et aux crimes contre l'humanité.

Mais l'accusation, avide de solennité, a présenté l'ensemble du dossier lors de ses propos introductifs, y compris les faits de génocide.

«Ne nous laissons pas aller un instant à oublier l'héritage catastrophique que représentent ces trois vieillards», a plaidé le procureur international Andrew Cayley, les accusant d'avoir «déclenché un océan de sang» et «interdit jusqu'à l'amour entre les êtres humains».

Ce procès est le deuxième du tribunal. En juillet 2010, Douch alias Kaing Guek Eav, chef de la prison S21 de la capitale où quelque 15 000 personnes ont été torturées avant d'être exécutées, avait été condamné à 30 ans de prison. Le verdict en appel est prévu le 3 février.

Deux autres dossiers contre des cadres subalternes devraient, selon les observateurs, être abandonnés. Le premier ministre Hun Sen s'est toujours publiquement opposé à de nouveaux procès, alimentant des accusations de pressions politiques.

Ces «allégations d'ingérence ternissent la crédibilité de toute la cour aux yeux du public», a d'ailleurs relevé lundi à Genève le haut-commissaire aux droits de l'homme de l'ONU, Mme Navi Pillay.

La seule ouverture du procès relevait, à ce titre, d'un accomplissement, huit ans après la signature d'un accord international sur la création de cette juridiction hybride.

«C'est un événement majeur que le procès commence enfin», a admis le porte-parole du tribunal Lars Olsen. «Beaucoup pensaient que cela n'arriverait jamais».