À Thimphu, la capitale du royaume himalayen du Bhoutan, un petit commerçant s'apprête à vendre sous le manteau des cigarettes à deux clients apeurés, une transaction qui pourrait l'envoyer en prison pour cinq ans.

À voix basse, les jeunes hommes demandent un paquet de dix cigarettes, qu'ils reçoivent enroulé dans un morceau de papier et se pressent de dissimuler dans la poche cousue sur le devant de leur tunique traditionnelle.

«On peut en trouver partout, mais il faut connaître quelqu'un», glisse l'un des acheteurs. «Mais c'est dangereux. Il (le vendeur) peut atterrir en prison».

Aux yeux de la loi, vendre du tabac ou avoir des cigarettes n'ayant pas été déclarées aux douanes est un délit passible de cinq ans d'emprisonnement.

Le Bhoutan, petit royaume bouddhiste coincé entre l'Inde et la Chine, qui célèbre jeudi le mariage de son jeune roi de 31 ans, s'est doté cette année de la législation antitabac la plus stricte au monde pour éliminer ce que le pays considère comme une habitude nocive.

Le pays est connu pour sa promotion du «Bonheur national brut», fondée sur la défense de l'identité nationale et sur une croissance économique «responsable» et respectueuse de l'environnement.

Vendre des cigarettes et fumer dans les lieux publics était déjà interdit, mais le pays veut désormais réprimer la contrebande en introduisant des peines d'emprisonnement pour les coupables.

La «loi sur le contrôle du tabac» ne dit pas que fumer est illégal, mais elle oblige les fumeurs à se limiter à 200 grammes maximum de tabac par mois, ou 200 cigarettes, qu'ils peuvent importer en toute légalité en payant une taxe de 100% pour les produits achetés en Inde et de 200% pour ceux achetés ailleurs.

Les consommateurs doivent conserver leurs reçus des douanes pour prouver qu'ils sont en règle.

Trois ans de prison pour un moine

En mars, un moine de 23 ans, arrêté alors qu'il transportait sur lui des gommes à mâcher au tabac qu'il n'avait pas déclarées, a été condamné à trois ans de prison ferme, devenant ainsi la première victime de cette nouvelle loi.

Depuis, plus de 50 personnes ont été arrêtées, dont un vieillard de 81 ans et un adolescent de 16 ans.

«Nous faisons cela pour la santé et le bien-être de notre peuple», assure Kinley Dorji, directeur exécutif de l'Agence bhoutanaise de contrôle des narcotiques qui a supervisé l'application de la loi.

Mais envoyer en prison des fumeurs occasionnels, qui n'étaient pas au courant de la loi, a provoqué un tollé et fait figure de test pour la démocratie naissante du Bhoutan.

«Nous ne mettons pas en cause l'intention. Le tabac tue. Mais on fume ici depuis des siècles, les gens ne peuvent s'arrêter en un jour», proteste Tashi Gyeltshen, qui a lancé des appels à manifester sur le réseau social Facebook.

«Tout le monde est d'accord pour dire que les peines de prison sont une erreur», assure-t-il à l'AFP.

Selon une étude de 2009 financée par des groupes antitabac, seuls 2,8% de la population de près de 700 000 Bhoutanais sont des fumeurs, contre 31,4% en Chine.

Face à la couverture médiatique hostile et au mécontentement populaire -ce qui ne se serait jamais vu au Bhoutan du temps de la monarchie absolue qui fut abolie en 2008 -, de nouvelles règles ont été introduites pour condamner les fumeurs occasionnels à de simples amendes.

Lors d'un entretien avec l'AFP, le premier ministre, Jigmi Thinley, a reconnu que la loi imposait «une punition excessive» à ceux qui se faisaient prendre en possession de petites quantités de tabac et que cet aspect serait révisé cette année.

«J'espère que nous pourrons faire des amendements. Le problème des peines est quelque chose que nous devons regarder», a-t-il promis.

Le gouvernement estime toutefois que la loi permettra d'alléger le poids que fait peser le tabac sur le système de santé du pays.

Les partisans de la loi rappellent que selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), six millions de personnes meurent chaque année du tabac, dont 80% vivent dans les pays en développement.