Yingluck Shinawatra, soeur de l'ancien chef de gouvernement en exil Thaksin Shinawatra, a été élue vendredi par l'assemblée nationale premier ministre de Thaïlande et première femme à ce poste, dans un pays profondément divisé après cinq années de troubles politiques.

L'ancienne femme d'affaires de 44 ans, dont la nomination devra encore être formellement approuvée par le roi, a reçu le soutien de 296 députés. Un chiffre très proche des 300 députés sur 500 que compte sa coalition.

Le Puea Thai, qui dispose seul de la majorité absolue grâce à sa large victoire aux législatives de juillet, s'est malgré tout allié avec cinq autres partis, reléguant les Démocrates du premier ministre sortant Abhisit Vejjajiva dans l'opposition.

«Je suis excitée de commencer à travailler», a déclaré cette novice en politique aux journalistes après le vote. «Le peuple jugera si mon travail les satisfait et répond à leurs attentes ou non».

Son premier défi sera de tenter de ramener la stabilité dans un pays qui vit au rythme des manifestations de masse depuis le coup d'État qui a renversé son frère en septembre 2006.

Et de réconcilier pour ce faire les masses défavorisées du nord et du nord-est du pays, pour la plupart favorables à Thaksin, et les élites de la capitale gravitant autour du palais royal (armée, magistrats, hauts fonctionnaires), qui le haïssent.

«Nous sommes toujours en plein milieu d'un véritable conflit dans le pays», souligne l'analyste Chris Baker.

Les dernières manifestations de masse au printemps 2010 avaient vu les «chemises rouges», dont beaucoup considèrent le milliardaire comme un héros, occuper le centre de Bangkok pendant deux mois, avant d'être délogés par l'armée. La crise, la plus grave qu'ait connue la Thaïlande moderne, avait fait plus de 90 morts et 1.900 blessés.

Une centaine de «rouges» se sont rassemblés vendredi devant l'assemblée, la photo de Yingluck imprimée sur leur t-shirt. Mais malgré leur soutien affiché, ces militants, qui attendent justice pour ces violences de 2010, devraient maintenir la pression sur Yingluck.

Thaksin, qui vit en exil pour échapper à une condamnation à deux ans de prison pour malversations financières, est le seul Premier ministre à avoir réussi à terminer un mandat dans un pays qui a connu 18 coups d'État ou tentatives depuis la fin de la monarchie absolue en 1932.

Se maintenir au pouvoir risque d'être d'ailleurs une autre épreuve pour Yingluck, alors que les deux précédents gouvernements dirigés par des proches de Thaksin ont été chassés par des décisions de justice et que les Démocrates ont déjà déposé une requête pour la dissolution du Puea Thai.

Mais sa large majorité, associée à la faiblesse relative du mouvement nationaliste et royaliste des «chemises jaunes» anti-Thaksin et à un manque de soutien populaire envers l'armée, devrait permettre une certaine «marge de manoeuvre» à Yingluck, selon Chris Baker.

Dans les prochains jours, la séduisante quadragénaire devra d'abord finaliser la composition de son gouvernement. La presse locale ne cesse de répéter que toutes les décisions sont prises à Dubaï par son frère, ce qu'elle a démenti.

Thaksin l'a décrite comme son «clone» et beaucoup la considèrent comme une simple marionnette du milliardaire, mais elle a «plus de pouvoir que les gens ne se l'imaginent», assure Michael Montesano, de l'Institut d'études sur l'Asie du Sud-Est à Singapour.

«Notre priorité est de s'occuper du coût élevé de la vie pour la population», a d'autre part déclaré Yingluck vendredi.

L'une de ses promesses de campagne les plus emblématiques est l'augmentation du salaire minimum de plus de 40%. Ces promesses, qui risquent de peser lourd sur le budget de l'État et d'encourager l'inflation, ont soulevé des craintes du monde économique.