L'Inde restera la cible d'attentats tant que le pays ne changera pas radicalement sa politique de lutte antiterroriste en comblant les lacunes de la police et des services de renseignement, estiment les analystes.

Même si le ministre indien de l'Intérieur, P. Chidambaram, a assuré que le triple attentat de mercredi ne pouvait être imputé à un laxisme au sein des services de renseignement, les experts considèrent que l'appareil de sécurité reste globalement inadapté.

Les explosions ont fait au moins 17 morts et plus de 130 blessés.

«Il est évident que l'on ne peut pas se protéger à 100% contre des attaques terroristes. Ceci dit, en termes de sécurité, nous souffrons d'énormes handicaps», estime Ajai Sahni, directeur général de l'Institut de gestion des conflits de New Delhi.

«Nous ne répondons pas au terrorisme comme si nous étions sur le pied de guerre, nous agissons comme une bureaucratie mal organisée», estime M. Sahni, qui juge la police largement «incompétente», dépourvue de formation au renseignement ou aux méthodes de la police scientifique.

En prenant pour exemple l'absence de fichier centralisé des criminels et terroristes, M. Sahni affirme que les gouvernements successifs n'ont pas retenu les leçons du passé.

«Nous luttons depuis des décennies contre des insurrections et une formation sur l'antiterrorisme n'a été introduite dans la police qu'en 2010», dénonce-t-il.

Lors d'une conférence de presse à Bombay, P. Chidambaram a tenté jeudi de désamorcer les critiques récurrentes sur l'inertie des forces de sécurité.

«Les services de renseignement n'ont pas échoué», a-t-il affirmé, soulignant la mission quasi impossible de neutraliser ce qui pourrait avoir été un «très petit groupe».

Aucun groupe n'a revendiqué les trois explosions simultanées qui se sont produites mercredi soir, à une heure d'affluence dans des quartiers animés de la capitale financière indienne.

De précédents attentats ayant frappé l'Inde ont été imputés dans le passé à deux groupes islamistes: celui des «Moudjahidines indiens» et le Laskhar-e-Taïba (LeT), installé au Pakistan.

Le ministre, nommé en 2008 pour moderniser son ministère, a également révélé que la police de Bombay avait déjoué un «grand nombre» d'attentats depuis les sanglants attentats de novembre 2008 qui avaient fait 166 morts.

Pour Wilson John, un spécialiste des questions de sécurité à l'Observer Research Foundation de New Delhi, le gouvernement a cédé trop de terrain aux groupes extrémistes.

«On ne peut pas se reposer sur l'idée qu'il est difficile de déjouer des attentats visant des zones où la foule se rassemble», estime-t-il.

Prenant pour exemple les mesures antiterroristes en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, M. John souligne que d'autres pays ont montré qu'une surveillance accrue et une police bien entraînée pouvaient permettre d'éviter des attaques.

«En tant qu'État, nous sommes devenus trop habitués au terrorisme, trop tolérants», juge-t-il.

Les efforts concernant la sécurité consentis après les attaques de 2008 ont été soit mal dirigés soit pas mis en oeuvre, juge pour sa part Praveen Swami, éditorialiste au quotidien The Hindu et auteur d'un ouvrage sur les réseaux terroristes en Inde.

«Après les attaques de Bombay (en 2008), l'État du Maharashtra a mis en place une école de police, mais ils n'ont ni cadres, ni instructeurs», affirme-t-il.

Les officiers ont été envoyés pour se former à l'antiterrorisme en Grande-Bretagne et aux États-Unis. «Mais une fois de retour, on ne leur demande pas d'enseigner (ce qu'ils ont appris)».

«Il n'y a pas d'effort organisé pour améliorer la formation», ajoute M. Swami, qui critique également l'achat d'armes sophistiquées, autant de «gadgets qui ne vont pas compenser une force de police mal entraînée et mal formée».

Aucune piste écartée

Le triple attentat mercredi à Bombay, qui a fait au moins 17 morts, a été provoqué par des bombes rudimentaires visant à faire le maximum de victimes et tous les groupes «hostiles à l'Inde» sont soupçonnés, a déclaré jeudi le ministre indien de l'Intérieur.

P. Chidambaram, s'est refusé à faire des conjectures sur les responsables des trois explosions qui se sont produites à une heure d'affluence dans des quartiers animés de la capitale financière indienne, précisant qu'aucune revendication ni appel préalable n'avaient été reçus.

«Tous les groupes hostiles à l'Inde sont dans le viseur. Nous n'écartons aucune piste, nous examinons tout le monde pour trouver qui est derrière ces attaques», a déclaré le ministre de l'Intérieur au cours d'une conférence de presse à Bombay après s'être rendu sur les lieux des explosions.

Le premier ministre Manmohan Singh était attendu à Bombay dans la soirée.

Les bombes étaient composées de nitrate d'ammonium, principalement utilisé comme engrais et que l'on retrouve souvent dans la fabrication d'engins explosifs artisanaux.

Elles se sont déclenchées à 15 minutes d'intervalle dans deux quartiers très fréquentés du sud de la ville, et dans un quartier résidentiel et commercial plus au nord de Bombay.

«Je pense qu'ils ont choisi ces endroits à cause de la densité de la population et de l'affluence» dans les rues, a estimé M. Chidambaram. «Ils ont choisi des endroits où même une explosion de faible intensité pourrait avoir un impact majeur».

Selon le secrétaire d'État à l'Intérieur, R.K. Singh, les engins explosifs étaient placés dans un abribus, sous des gravats et dans un parapluie.

Le bilan révisé s'établit à au moins 17 morts et 131 blessés, dont 23 dans un état grave, a déclaré M. Chidambaram. Un précédent bilan fourni dans la nuit mercredi faisait état de 21 morts.

Interrogé sur la raison pour laquelle Bombay était de nouveau visée, après les attentats islamistes de 2008 qui avaient fait 166 morts, il a répondu que toutes les villes du pays étaient exposées aux attentats.

«Nous vivons dans le voisinage le plus troublé au monde. Le Pakistan et l'Afghanistan sont le foyer du terrorisme. Nous sommes voisins».

«Le fait de vivre dans le voisinage le plus troublé (fait que) chaque partie de l'Inde est vulnérable», a-t-il estimé.

La rencontre prévue fin juillet entre les chefs des diplomaties indienne et pakistanaise est maintenue, a indiqué le ministère indien des Affaires étrangères.

Les bombes les plus puissantes ont frappé des quartiers commerçants spécialisés dans la bijouterie dans le sud de Bombay, déjà victime des attentats de 2008. L'Inde a accusé le groupe islamiste Lashkar-e-Taïba (LeT), basé au Pakistan.

Selon P. Chidambaram, l'objectif visé est «l'unité de l'Inde, son intégrité et sa prospérité. Il y a des éléments hostiles à l'Inde qui ne veulent pas que l'Inde connaisse la croissance et prospère, ce sont ces éléments qui sont derrière les explosions à la bombe».

Salim Dharolia, un courtier en diamant attendant de récupérer le corps de son fils à l'hôpital privé Saifee, se demandait pourquoi le sang avait encore coulé à Bombay.

«J'ai perdu mon seul fils. Il venait de se marier il y a deux mois. Pourquoi les habitants de Bombay sont tout le temps visés ? Quel crime avons-nous commis?».

Les attentats ont suscité de vives condamnations à l'étranger, le président américain Barack Obama les qualifiant de «révoltants», tandis que la secrétaire d'État Hillary Clinton a annoncé qu'elle maintenait sa visite en Inde prévue la semaine prochaine.

Le président français Nicolas Sarkozy a «condamné» mercredi «avec la plus grande fermeté la violence lâche et aveugle» des attentats, qualifiés d'actes «barbares» par le chef de la diplomatie française Alain Juppé.