La multiplication des attaques des talibans contre des sites sensibles et très sécurisés en Afghanistan atteste d'une infiltration inquiétante des forces afghanes et met en lumière une nouvelle tactique visant à discréditer le gouvernement et l'OTAN, selon les analystes.

Le 21 mai, un soldat complice a fait entrer le kamikaze qui a fait exploser sa bombe dans l'hôpital militaire de Kaboul, site très surveillé dans une capitale sous haute sécurité. Quant au kamikaze qui a tué le 15 avril le chef de la police de Kandahar, fief des talibans, dans le sud, il s'agissait de son propre garde du corps.

«Difficile d'évaluer leur nombre, mais il est certain qu'il existe des agents dormants» au sein de l'armée et de la police, s'inquiète une source militaire occidentale, qui estime que les talibans ont placé leurs hommes jusqu'au sein des autorités provinciales.

«Les talibans essaient depuis longtemps d'infiltrer tous les échelons de la société afghane, le gouvernement et les institutions, ainsi que l'armée et la police afghane», confirme Martine Van Bijlert, de l'Afghan Analysts Network (AAN), centre d'études basé à Kaboul.

Une infiltration facilitée par les liens familiaux, tribaux ou datant de l'époque de la résistance anti-soviétique. Mais aussi par la volonté du gouvernement et de l'Otan d'étoffer à marche forcée les rangs des forces de sécurité censées prendre le relais des troupes internationales d'ici fin 2014, préviennent certains analystes.

«On demande aux Afghans de faire du chiffre» en recrutant au maximum et «les insurgés l'ont compris», en profitant pour faire enrôler leurs militants, note la source militaire occidentale.

Selon Gilles Dorronsoro, chercheur à la Fondation américaine Carnegie, «les objectifs» imposés aux responsables afghans en termes d'effectifs sont «irréalisables», notamment en raison du fort taux de désertions et d'absences non justifiées.

Environ 30% des effectifs affichés de l'armée afghane «sont manquants», confirme la source occidentale.

Le général William Caldwell, le chef de sa mission de formation en Afghanistan (NTM-A), a récemment annoncé une série de mesures destinées à contrer les tentatives d'infiltration. Mais elles «laissent sceptique» Gilles Dorronsoro: «en pratique il ne peuvent contrôler qui ils acceptent» dans les rangs.

Outre l'obtention de renseignements, cette infiltration permet de porter des attaques à l'intérieur même de sites hautement sensibles et symboliques, comme le QG de la police à Kandahar, une importante base militaire de l'est ou le ministère de la Défense à Kaboul.

Les talibans semblent désormais préférer aux attaques très meurtrières des actions plus ciblées, moins spectaculaires mais très coûteuses politiquement pour le gouvernement et l'OTAN.

«Tout ce qui va vers une limitation des dommages collatéraux est bon à prendre pour les talibans qui souhaitent garder un soutien populaire», explique en outre Gilles Dorronsoro.

Cette tactique permet par ailleurs aux insurgés de «faire croire qu'ils peuvent frapper n'importe où, n'importe quand», souligne Martine Van Bijlert.

«Le but est de saper le moral (des forces de sécurité) et de décrédibiliser le gouvernement», aux yeux de la population déjà «lassée de la déliquescence de l'État et de la corruption», estime la source militaire occidentale.

En outre, le doute qu'elle parvient à instiller sur la fidélité de certains soldats ou policiers afghans est susceptible de détériorer un peu plus leurs relations déjà souvent tendues avec certains militaires étrangers sur le terrain.

Mais l'infiltration n'explique pas tout. L'impopularité croissante de la coalition, après dix ans de conflit, peut aussi expliquer que des soldats afghans, sans contacts préalables avec les talibans, ouvrent le feu sur des militaires étrangers, sans pour autant avoir rallié l'insurrection, souligne Gilles Dorronsoro.