Les assassinats récents d'un gouverneur et d'un ministre ont créé une onde de choc au Pakistan. Pour contrer les menaces des islamistes, des progressistes s'organisent.

Quand Marvi Sirmed, employée des Nations unies au Pakistan, a voulu organiser une cérémonie à la mémoire de Salman Taseer, gouverneur de la province du Penjab assassiné par un islamiste début janvier, elle pensait que les personnalités se bousculeraient. Mais la réponse à son invitation l'a maintes fois laissée sans voix.

«Salman Taseer a eu ce qu'il méritait. La défense de l'islam est en jeu. Si vous ne comprenez pas ça, allez vivre ailleurs», lui a lancé, furieux, le sénateur Humayun Mandokhel, élu de la province occidentale du Baloutchistan.

Quelques jours plus tard, devant le Sénat, Humayun Mandokhel a accusé Marvi Sirmed de blasphème: elle a qualifié Salman Taseer de «shahid», de martyr, alors que c'était un blasphémateur, a-t-il fait valoir devant ses collègues. Une déclaration synonyme d'appel au meurtre contre cette Pakistanaise de 39 ans.

À l'origine de la confrontation se trouve la «loi du blasphème». Ce texte, en vigueur depuis 1982, condamne à mort ou à la prison à vie toute personne coupable d'avoir manqué de respect au prophète ou au Coran. Jusqu'à l'an dernier, cette loi n'avait pas créé de profondes controverses.

La condamnation à mort pour blasphème le 8 novembre 2010 d'Asia Bibi, paysanne catholique, a mis le feu aux poudres. Les progressistes, Salman Taseer en tête, dénoncent un procès expéditif. Pour eux, cette affaire est une querelle de voisinage qui a mal tourné entre des paysannes musulmanes et une chrétienne. Ils réclament l'abrogation de la loi. Shahbaz Bhatti, ministre des Minorités, leur emboîte le pas.

Pays coupé en deux

Pas question, répondent les partis islamistes. Pour eux, ce texte protège l'honneur du prophète. Ils mobilisent leurs militants dans des manifestations dans tout le pays. Des religieux appellent à tuer le gouverneur du Penjab.

Le 4 janvier, Salman Taseer est abattu par son garde du corps. Le 2 mars, Shahbaz Bhatti tombe sous les balles des talibans. Depuis, le pays est coupé en deux: d'un côté, les islamistes clament que les deux hommes méritaient de mourir. De l'autre, les progressistes crient à la liberté en danger et tentent de se faire entendre.

«Avec ces meurtres, les radicaux tentent de nous intimider», constate Marvi Sirmed. La jeune femme fait partie du collectif Citizens for Democracy. Ce groupe a un blogue et une page sur Facebook. Il regroupe 78 organisations, dont des centres universitaires et des syndicats.

Avec Citizens for Democracy, Mme Sirmed a porté plainte contre un religieux de Karachi qui offre une récompense à ceux qui assassinent des soi-disant blasphémateurs. Sous pression, il est revenu sur ses propos. Pour Marvi Sirmed, c'est une première victoire: «Il faut continuer même si c'est difficile de trouver un avocat. Soit ils sont pour la loi du blasphème, soit ils ont peur des islamistes.»

Stratégie

Pour Khadim Hussain, universitaire qui dirige la fondation Baacha Khan, il faut une stratégie à long terme pour changer les mentalités. Son organisation, financée par la Norvège et des citoyens pakistanais, regroupe 14 écoles dans le nord-ouest du pays. Celles-ci, dit-il, enseignent ce que le système public n'inculque pas: l'esprit critique et le raisonnement. «C'est ça qui nourrit l'extrémisme, constate M. Hussain. Il faut commencer par là pour empêcher les terroristes de recruter.»

Dans les salles de classe, les enseignants appliquent plusieurs méthodes: «Nous demandons aux élèves de répertorier les violations des droits de la personne dans leur village et d'en faire un exposé. Ils prennent ainsi conscience de ce que c'est et apprennent à raisonner.»

Prochaine étape: convaincre le système public de reprendre ces méthodes. Mais le gouvernement reste inerte. Après le meurtre de Shahbaz Bhatti, il n'a annoncé aucune mesure pour contrer les extrémistes. «Ce n'est pas une priorité de la classe politique, déplore Khadim Hussain. Elle est trop occupée par des problèmes immédiats comme la hausse du prix du carburant. Et l'armée refuse de démanteler ces groupes armés. Elle est obsédée par la menace indienne et perçoit ces terroristes comme des alliés capables de frapper sur le territoire indien.»

Sa bataille, reconnaît-il, sera longue.