Samai Wongsuwan était parti de chez lui en prévenant sa femme qu'il ne rentrerait pas tant que le gouvernement thaïlandais subsisterait. Aujourd'hui il est mort, mais d'autres «chemises rouges» ont repris le chemin de la rue pour réclamer des élections immédiates.

Lors des manifestations des «chemises rouges» antigouvernementales au printemps à Bangkok, Samai avait été blessé par balle.

Après quelques mois chez lui à Chiang Mai, bastion des «rouges» dans le nord du pays, il avait de nouveau quitté sa maison. Avant que son corps ne soit retrouvé en octobre sur les lieux d'une explosion près de Bangkok, dans laquelle trois autres personnes ont été tuées.

Buakam Muangma ne croit pas que son mari Samai, qui avait loué la chambre où la bombe aurait été accidentellement déclenchée, était capable de fabriquer un tel engin.

Mais il n'était plus le même après la crise qui a fait plus de 90 morts et 1900 blessés entre mars et mai, reconnaît cette femme de 44 ans. «Il a vu des soldats tirer sur des gens alors il est rentré avec un sentiment de haine envers les militaires».

Ces manifestations ont mis en lumière les profondes divisions de la société thaïlandaise entre les élites de Bangkok gravitant autour du palais royal et les masses rurales et urbaines défavorisées qui s'estiment exclues du pouvoir.

Et s'il y a eu une accalmie ces derniers temps, une nouvelle explosion de violence est à craindre en 2011.

«Les rouges se déchaînent parce qu'ils ont été privés du droit électoral et exclus», estime Thitinan Pongsudhirak, professeur de sciences politiques à l'université Chulalongkorn de Bangkok.

«La répression, sans discussion, ne mènera qu'à envenimer la situation et à plus de désenchantement, ce qui peut soulever une véritable révolte populaire», continue-t-il.

Mais pour le porte-parole du gouvernement Panitan Wattanayagorn, le pays revient au contraire à la normale après l'abrogation il y a quelques jours dans la capitale de l'état d'urgence qui donnait des pouvoirs accrus aux forces de sécurité.

La plupart des leaders des «chemises rouges» sont toujours en prison, accusés de terrorisme, ou en fuite.

Mais sept mois après la fin de la crise la plus grave qu'ait connue la Thaïlande moderne, le mouvement semble reprendre des forces.

Le dernier rassemblement à Bangkok en décembre a attiré près de 10 000 «rouges» qui prévoient de manifester désormais deux fois par mois contre le gouvernement.

La nouvelle présidente des «rouges» Thida Thavornseth appelait malgré tout récemment à remplir le vide au sommet du mouvement pour éviter la violence.

Sans direction, «l'anarchie va se développer (...) Quelque chose de grave pourrait se produire», prévenait-elle, insistant pour un mouvement «pacifique».

Des élections législatives devraient avoir lieu en 2011. Une situation potentiellement explosive dans un pays instable depuis le coup d'État de 2006 qui a renversé Thaksin Shinawatra, ancien magnat des télécommunications en exil toujours soutenu par de nombreux «rouges».

Le niveau de danger est faible pour l'instant, selon une source policière du nord du pays.

Mais on ne peut être sûr de rien, notamment avec le sentiment d'injustice provoqué par de récentes décisions de justice en faveur du Parti démocrate au pouvoir, ajoute-t-elle. «Peut-être que (les rouges) sont déçus, peut-être qu'ils vont être en colère».

À Chiang Mai, Sucha Channam, également blessé par balle au printemps aux côtés de Samai, est effectivement «en colère». «Mais je ne veux pas me venger», assure-t-il, en se préparant pour une nouvelle manifestation.