Erich Weingartner est l'un des Canadiens qui connaissent le mieux la Corée du Nord. Cet Ontarien dans la cinquantaine y a séjourné plusieurs années, avec une organisation non gouvernementale chrétienne, dans les années 90. Depuis, il y retourne fréquemment. Sa dernière visite remonte au début du mois. Il a inspecté quatre fermes où travaille une ONG s'occupant d'aide à l'agriculture. Alors que la tension vient de diminuer dans la région, La Presse lui a demandé ses impressions.

Q: La Corée du Nord a-t-elle changé depuis votre dernier séjour?

R: Énormément de choses ont changé en trois ans. À Pyongyang, il y a plus de voitures que je n'en ai jamais vu, des neuves et des véhicules d'occasion de plusieurs marques. Il y a des bouchons. On a même allumé les feux de circulation, que je n'avais jamais vus fonctionner. Les agentes de la circulation que les habitués de Pyongyang connaissent bien se tiennent maintenant sur le trottoir. Elles font désormais partie du folklore: j'ai vu des cartes postales qui rappellent le temps où elles se tenaient au milieu de chaque carrefour. Il y a beaucoup plus de restaurants, beaucoup plus de téléphones portables. Il y en aurait 300 000 et ce nombre devrait tripler d'ici un ou deux ans, m'a-t-on dit. Il y avait même de la réception à la campagne à deux heures de Pyongyang. Un nouvel hôtel est en construction au centre-ville et l'entreprise égyptienne qui gère le réseau cellulaire, Orascom, serait en train de rénover l'intérieur du gigantesque hôtel en forme de pyramide, dont la construction était abandonnée depuis les années 80 et dont la structure en béton vient tout juste d'être recouverte de panneaux de verre très jolis.

Q: À quoi attribuez-vous ces changements?

R: C'est difficile à dire, mais il est clair que la Corée du Nord a de nouveaux revenus. J'ai des informations que je ne peux pas partager avec vous, mais ce sont des secteurs dont on a déjà parlé dans les médias (NDLR: de nombreux rapports estiment que les ventes d'armes nord-coréennes sont en hausse, malgré les embargos commerciaux onusien et américain). Le commerce avec la Chine semble plus important qu'avant. Dans le grand magasin où je m'approvisionnais quand j'habitais à Pyongyang, les produits alimentaires étaient auparavant uniquement japonais, et maintenant on trouve surtout des produits chinois.

Q: Avez-vous remarqué des changements dans les conversations?

R: J'ai voulu savoir comment mes interlocuteurs, qui sont tous des membres du Parti, ont vécu les tensions des dernières semaines. En Corée du Sud, la population avait vraiment peur qu'une guerre éclate. Pas en Corée du Nord. Quand j'habitais à Pyongyang, il y avait régulièrement des exercices de sécurité civile simulant une attaque militaire. Je n'en ai pas vu lors de mon séjour et on m'a dit qu'il n'y en avait pas souvent.

Q: Cela signifie-t-il que les menaces de guerre nord-coréennes sont exclusivement destinées à un public étranger?

R: Je crois que la Corée du Nord sent qu'elle dirige le degré de tension militaire. C'est elle qui décide s'il y aura ou non provocation ou escalade. Les États-Unis et la Corée du Sud ne savent absolument pas comment faire évoluer la situation et sont condamnés à réagir.

Q: Parle-t-on beaucoup de Kim Jong-un, fils de Kim Jong-il, qui est généralement considéré comme le successeur de son père par les observateurs étrangers?

R: On le voit souvent à la télévision aux côtés de son père dans des visites d'usines, de fermes ou d'unités militaires. Il n'est pas directement mentionné, mais il est bien en vue. Et il est très bien habillé, avec un costume Mao, contrairement à son père qui a toujours un pantalon et une veste informes. Il semble qu'on le présente comme un futur dirigeant qui fait ses classes avec le «cher leader».