Pour la première fois dans l'histoire de cette République islamique, une chrétienne risque d'être pendue pour blasphème. Un cas qui met en lumière les conditions de vie des minorités religieuses au Pakistan, où 97% de la population est musulmane. Notre collaborateur a rencontré le mari de la condamnée.

C'est l'histoire d'un conflit de voisinage qui se termine par la condamnation à mort d'une catholique de 45 ans.

Tout commence le 14 juin 2009 dans le village d'Ittanwali, dans la province orientale du Penjab. Asia Bibi, ouvrière agricole et mère de cinq enfants, travaille à la cueillette des fruits rouges avec des villageoises musulmanes. L'une d'elle demande de l'eau. Asia lui tend à boire. On lui répond que cette eau est impure parce qu'Asia est chrétienne. Le ton monte. C'est à ce moment que les versions des uns et des autres divergent. Selon les villageoises, Asia aurait insulté Mahomet, affirmant qu'il serait tombé malade peu avant sa mort et que des insectes lui seraient sortis de la bouche. Un acte passible de la peine de mort. Mais devant le juge, elle nie.

Le 8 novembre, Asia est condamnée à la pendaison. Son mari, Ashiq Masih, 51 ans, est sous le choc. «Je suis désespéré et en colère, insiste cet homme mince aux cheveux noirs bien coiffés. Mes enfants sont terrorisés. Il y a quelque jours, ma fille est venue me voir en pleurs, m'expliquant que sa mère allait être empoisonnée en prison.»

«Bonne» cohabitation

Pour Ashiq, sa femme a été victime d'un complot des villageois. «À Ittanwali, il y a 1000 familles musulmanes et deux familles chrétiennes, détaille Ashiq d'une voix calme. Les témoins qui accusent ma femme nous ont reproché plusieurs fois d'avoir bouché une canalisation. Un jour, Asia s'est plainte auprès du maire parce que son troupeau était venu paître sur notre terrain. Il l'a très mal pris. Or, le mollah du village qui a déposé la plainte est un de ses amis.»

Le rapport de la police, publié dans le jugement que La Presse s'est procuré, ne mentionne pas ces tensions. Dans son verdict, le juge souligne que les accusations contre Asia ne sont pas motivées par des querelles puisque la cohabitation entre chrétiens et musulmans est bonne à Ittanwali. Plus étrange, «le jour de son arrestation, le mollah promet à ma femme qu'elle sera libérée si elle se convertit», soutient Ashiq. Mais la police n'a pas cherché à déterminer si l'appartenance religieuse d'Asia Bibi avait motivé la plainte.

Chrétiens ostracisés

Au Pakistan, les minorités religieuses sont régulièrement victimes de conversions forcées, de viols et d'agressions. Deux millions de chrétiens exercent des métiers pénibles comme balayeur, homme de ménage, ouvrier agricole. Ils sont considérés comme des moins que rien.

Une situation que l'influence des groupes islamistes radicaux au Penjab ne fait qu'empirer. Un membre d'une ONG chrétienne présent aux audiences affirme: «Des militants appartenant à ces mouvements, en particulier le Lashkar-e-Jangvi, un groupe qui cible les minorités, ont assisté au procès. Par leur présence, ils ont intimidé le juge au cas où sa décision ne leur conviendrait pas.»

Difficile de vérifier, car personne ne veut confirmer par peur des représailles. Mais la province du Penjab est connue pour abriter des groupes terroristes. Ils gèrent des écoles coraniques et des associations caritatives. Le Lashkar-e-Taiba, qui s'est rendu célèbre en tuant 175 personnes à Bombay en novembre 2008, et dont les militants combattent l'OTAN en Afghanistan, est implanté à Muridke, à moins de 100 km d'Ittanwali.

Malgré tout, Ashiq Masih refuse de se laisser faire. Soutenu par une ONG chrétienne qui reste discrète, il a interjeté appel. «S'il le faut, nous demanderons la grâce présidentielle», conclut t-il.