L'opposante birmane Aung San Suu Kyi, libérée samedi après sept ans de résidence surveillée, a repris le travail lundi au siège de son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (LND, dissoute), au lendemain de son premier discours politique depuis 2003.

La lauréate du prix Nobel de la paix a appelé l'opposition à s'unir, précisant qu'elle prendrait le temps d'écouter ses concitoyens avant de décider d'une stratégie politique.

«Elle devrait venir tous les jours» dans les bureaux de la Ligue, a estimé Nyan Win, porte-parole de la LND, qui n'existe plus formellement comme parti politique, la junte l'ayant dissoute après sa décision de boycotter les élections du 7 novembre.

L'opposante a aussi déclaré dimanche qu'elle serait disposée à rencontrer le généralissime Than Shwe, homme fort de la junte, et qu'elle ne conservait «aucune rancune à l'égard de ceux qui (l'avaient) détenue».

«Nous avons demandé un dialogue depuis le début. Elle est toujours prête au dialogue», a confirmé Nyan Win, son porte-parole. Interrogé sur la procédure à suivre et la possibilité qu'un courrier lui soit envoyé, il a répondu «je ne sais pas».

Than Shwe déteste la figure de l'opposition et rechigne même, selon certaines sources, à prononcer son nom. Mme Suu Kyi avait déjà proposé en vain de le rencontrer fin 2009, alors qu'elle était en résidence surveillée.

Un responsable birman sous couvert de l'anonymat a par ailleurs indiqué que la ligne téléphonique d'Aung San Suu Kyi, coupée en 2003 par les services de renseignements, serait «bientôt» rétablie.

L'opposante a passé près de 15 des 21 dernières années privée de liberté. Elle a sacrifié sa famille à la cause, en restant en Birmanie en 1999 tandis que son mari mourait d'un cancer en Grande-Bretagne, de crainte de ne pouvoir rentrer chez elle.

Elle n'a pas vu ses deux enfants depuis plus de dix ans. Kim Aris, son plus jeune fils, se trouvait encore à Bangkok lundi pour tenter d'obtenir un visa pour la Birmanie. Il s'est entretenu avec sa mère samedi soir au téléphone.

Nyan Win a indiqué que l'opposante souhaitait attendre l'arrivée de son fils pour se rendre à la pagode Shwedagon de Rangoun, où elle avait tenu son premier discours politique en 1988.

La libération de la prix Nobel de la paix a provoqué depuis samedi un soulagement prudent au sein de la communauté internationale.

De nombreuses capitales ont notamment appelé la junte à relâcher également les quelque 2200 autres prisonniers politiques que l'opposante, par son aura, a eu tendance à éclipser depuis des années.

La junte toujours toute puissante

La libération d'Aung San Suu Kyi génère certes un souffle d'espoir en Birmanie mais ne signifie en rien que la junte est affaiblie, estiment les analystes selon lesquels la «Dame» de Rangoun n'est plus considérée comme une menace par le pouvoir.

Les résultats des élections législatives du 7 novembre, désavouées par l'Occident, devraient être annoncés bientôt. Le Parti de la solidarité et du développement de l'Union (USDP), créé par la junte, a déjà revendiqué quelque 80% des sièges.

Et Aung San Suu Kyi, même encline à enquêter sur les malversations présumées le jour du vote, n'empêchera pas le régime de poursuivre la mise en oeuvre de sa feuille de route vers une «démocratie disciplinée», initiée en 2003.

Rien, non plus, ne pourra empêcher les militaires de maintenir un contrôle absolu sur le pays. La chambre basse devrait être convoquée en fin d'année, pour un mandat de cinq ans. Viendra ensuite le tour de la chambre haute, avant qu'un président soit désigné et qu'il nomme son gouvernement.

Et ce sont les mêmes officiers, uniformes et médailles en moins, qui présideront aux destinées de la Birmanie au terme d'un processus parfaitement huilé.

«Le nouveau parlement sera sous contrôle des militaires et de leurs alliés», souligne Aung Naing Oo, analyste birman en exil en Thaïlande. «Si qui que ce soit essaye de faire dérailler le train militaire, il trouvera en face une réalité compliquée».

Même la lauréate du prix Nobel de la paix n'y pourra rien. «Les militaires sont en position de force et ne l'auraient pas libérée s'ils n'étaient pas confiants».

À Rangoun, l'euphorie n'est pas venue à bout des craintes d'une population qui a vu Aung San Suu Kyi être libérée déjà par deux fois, en 1995 et 2002. L'admiration à son endroit est intacte au sein de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), mais le régime fait toujours peur.

En 2007, la «révolte Safran» emmenée par des moines bouddhistes avait été réprimée dans le sang. Tout comme les émeutes de 1988, date de l'entrée en politique de Mme Suu Kyi.

«Ce gouvernement est très brutal. Il tue des gens juste pour rester au pouvoir», affirme un homme de 49 ans qui se fait appeler Akhbar. «La junte lui a donné un peu de liberté mais ils la surveilleront de près».

Dimanche, lors de sa première conférence de presse après sa libération, l'opposante a lancé un appel à l'unité de l'opposition au sein de laquelle  les divisions, déjà profondes, se sont encore accentuées lorsque la LND, vainqueur du scrutin de 1990 sans jamais exercer le pouvoir, a boycotté les dernières élections.

«Nous sommes encore en pleine euphorie. Mais passé ce moment, il sera difficile (à Aung San Suu Kyi) de fédérer une opposition désormais culturellement et idéologiquement divisée», estime Renaud Egreteau, de l'Université de Hong Kong.

Le flou demeure sur la stratégie politique de Mme Suu Kyi, comme sur sa volonté, ou non, de provoquer une junte toute puissante.

«Elle a toujours voulu repousser la ligne rouge qui lui a été systématiquement tracée par le régime», rappelle le politologue. «Mais cette fois-ci, la réalité lui fera peut-être éviter la confrontation directe dans un premier temps».

Le risque réside, une fois encore, d'une crispation des liens entre cette grande figure charismatique et non-violente, et des militaires qui se sont succédés depuis un demi-siècle à la tête du pays et n'ont aucune intention de partir.

«Sa libération en 2002 avait été un véritable gaspillage politique, il ne faut pas que cela se reproduise», relève Renaud Egreteau.