Enhardie par l'affirmation croissante de sa puissance dans le monde, et inquiète de la forte présence américaine, la Chine défend désormais ses prétentions territoriales de manière plus incisive, selon des spécialistes qui citent en exemple la crise en cours avec le Japon.

Depuis deux semaines, Pékin proteste solennellement quasiment tous les jours contre l'action «illégale» de Tokyo, qui détient le capitaine d'un chalutier chinois entré en collision avec deux patrouilleurs nippons dans une zone maritime revendiquée par les deux pays, mais sous contrôle effectif du Japon.

La responsabilité du durcissement de ton repose clairement sur le côté chinois, qui a menacé Tokyo de «fermes mesures de rétorsion», suspendu les contacts de haut niveau avec le Japon et exclu une rencontre des Premiers ministres cette semaine à New York.

L'administration du président Hu Jintao «a opéré un changement d'orientation fondamental de la politique extérieure pour, ainsi qu'elle le considère, défendre la Chine», explique Edward Friedman, sinologue de l'université du Wisconsin (États-Unis).

Dénoncer les empiètements des pays étrangers sur ce qu'ils estiment être le territoire chinois n'est pas nouveau dans la rhétorique des dirigeants communistes à Pékin, mais la manière de réagir contre ces «humiliations» parfois très anciennes a évolué.

Selon Edward Friedman, l'année 2008 est charnière: la réussite de l'organisation des jeux Olympiques par Pékin, puis sa capacité à négocier la crise financière mondiale, ont rehaussé le prestige de l'empire du Milieu.

Le vaste pays, où s'exprime un fort sentiment nationaliste, affiche par ailleurs des ambitions militaires de plus en plus visibles. Pékin, jaloux de la suprématie navale des États-Unis dans le Pacifique, serait par exemple en train de s'équiper d'un missile à longue portée pouvant frapper les porte-avions.

«Que ce soit le problème des liens militaires entre Séoul et Washington, les revendications du Japon en mer de Chine orientale ou celles du Vietnam en mer de Chine méridionale et les îles Spratleys (que se disputent Hanoï et Pékin), la Chine n'allait plus rester assise à rien faire face aux injustices du passé», résume Edward Friedman.

Selon le Pentagone, la Chine se renforce militairement notamment en prévision d'un conflit avec Taïwan (île qu'elle considère comme une province rebelle), et elle est même en train d'accroître son avance.

Et, signe de la nouvelle agressivité de la Chine sur cette question sensible, Pékin a suspendu fin janvier ses échanges militaires avec les États-Unis pour protester contre de nouvelles ventes d'armes américaines à Taïwan.

Selon Wenran Jiang, de l'université d'Alberta au Canada, la Chine est persuadée que les États-Unis cherchent à «contenir» sa volonté d'expansion géostratégique, notamment grâce à leurs bases militaires, leur flotte et leurs alliés dans le Pacifique.

«On peut voir dans la façon de penser chinoise une espèce de mentalité d'assiégé. Ils croient que les choses sont en train de se resserrer autour d'eux», a-t-il affirmé à l'AFP.

Pour Takayoshi Shibata, professeur à l'université Keizai de Tokyo, la crise actuelle dépasse les enjeux traditionnels entre la Chine et le Japon, même si les traumatismes infligés pendant l'occupation nipponne et la deuxième guerre mondiale sont encore vivaces.

«Le problème n'est pas seulement entre la Chine et le Japon, il reflète les relations de la Chine avec les États-Unis», a-t-il souligné. «La Chine a beaucoup de problèmes avec les États-Unis et le Japon est considéré comme un valet de Washington».