Face aux inondations qui ont plongé le Pakistan dans la pire crise humanitaire de son histoire, les organisations caritatives islamiques ont été bien plus promptes à réagir que le gouvernement, inquiétant Washington qui les soupçonne d'extrémisme.

L'une des plus célèbres de ces ONG, la Jamaat-ud-Dawa, officiellement interdite au Pakistan et qui figure sur une liste ONU des organisations terroristes, est ces jours-ci, comme souvent, très présente auprès des quelque 15 millions de Pakistanais sinistrés, souvent totalement démunis.

La mobilisation de ces organisations, d'autant mieux accueillie chez des victimes qui dénoncent pour beaucoup le manque d'efficacité du gouvernement depuis le début de cette crise, ne laisse d'inquiéter les États-Unis, qui les soupçonnent en partie d'être un outil de propagande de l'extrémisme.

L'envoyé spécial des Nations unies au Pakistan, Jean-Maurice Ripert a estimé pour le journal Le Monde que l'ONU devait aider le gouvernement pakistanais face aux inondations pour prévenir un renforcement des extrémistes qui voudraient tirer parti du «pire désastre naturel» que le pays ait connu.

Les rebelles islamistes du Mouvement des talibans du Pakistan (TTP) ont appelé mardi le gouvernement à rejeter l'aide américaine, affirmant pouvoir donner eux-mêmes 20 millions de dollars pour les victimes des inondations.

Les États-Unis ont peu après annoncé de nouveaux dons, portant à 55 millions de dollars le total de leur aide d'urgence pour les inondations au Pakistan, l'un de leur allié clé contre les rebelles islamistes dans la région.

L'ONU a de son côté appelé la communauté internationale à donner davantage, soulignant que la survie de six millions de personnes était en jeu.

Dans les zones inondées, la Jamaat-ud-Dawa (JuD) est à pied d'oeuvre.

«Nous donnons de la nourriture, des vêtements, des médicaments, des tentes, des ustensiles et 5 000 roupies (environ 60$ CAN) en liquide à chaque famille», explique à l'AFP Atique Chohan, porte-parole de la JuD dans la province de Khyber Pakhtunkhwa (nord-ouest), où les talibans sont actifs.

«Nous avons jusqu'ici aidé 250 000 personnes», ajoute-t-il dans un camp établi par une branche de la JuD dans le district de Nowshehra.

Un camion arrive, rempli de vivres et matériels pour les victimes, qui n'ont que faire du fait que le chef de la JuD, Hafiz Saeed, soit considéré comme un terroriste aux yeux de l'Inde et des États-Unis.

Hafiz Saeed est le fondateur du Laskhar-e-Taiba (LeT), un groupe armé rebelle cachemiri interdit au Pakistan et accusé d'avoir perpétré les sanglants attentats qui ont tué 186 personnes fin 2008 à Bombay.

Les victimes des inondations préfèrent réserver leur fiel au président Asif Ali Zardari, qui n'est rentré que cette semaine d'une tournée européenne alors que son pays est sous les flots depuis deux semaines, et pour son gouvernement.

«Les organisations religieuses comme la JuD nous aident davantage», souligne Ghulam Haider, un chauffeur de taxi de 25 ans dont la maison à Nowshehra a été balayée par les inondations.

«Le gouvernement nous a donné des tentes et rien d'autres. Toute l'aide a été fournie par des citoyens, riches ou non. Et par les organisations privées» abonde Jahanas Khan, 50 ans, qui a été évacué de son village.

Côté américain, Anthony Cordesman, conseiller de l'administration Obama pour l'Afghanistan et le Pakistan à Washington, craint que cela ne rende «le Pakistan encore plus vulnérable à l'extrémisme». «Et un Pakistan radicalisé renforce la menace terroriste», prévient-il.

«C'est une situation étrange», estime de son côté l'analyste pakistanais Talat Masood. «Cela montre que le gouvernement n'est pas capable de remplir son rôle», laissant la population face à deux choix: «Etre sous la domination de l'armée ou sous la domination des rebelles».

Au camp de la JuD à Peshawar, Aurangzeb Khan, 43 ans, glisse de l'argent dans la boîte transparente d'une association recueillant des fonds pour les victimes des inondations, déjà à moitié remplie de billets.

«Je l'aurais donné au gouvernement... s'il avait fait du bon travail», dit-il.