Le dénouement du premier procès d'un Khmer rouge est imminent. Lundi, l'ancien directeur du centre d'extermination S21, Duch, recevra sa sentence. Mais ses victimes sont amères: le procès n'a fait que creuser un peu plus le fossé entre elles et le bourreau, raconte notre collaborateur.

Les larmes aux yeux, Phung Sunthary tend le doigt vers un cliché affiché parmi des milliers d'autres dans une pièce de l'ancienne prison khmère rouge de Phnom Penh, la capitale du Cambodge. «Là, c'est mon père à son entrée à S21, le 12 décembre 1976», explique-t-elle, la gorge nouée, devant le portrait de Phung Ton, éminent professeur de droit. «Il est amaigri. Il a les yeux vides, désespérés», murmure sa fille.

Entre 1975 et 1979, plus de 12 380 prétendus opposants à la révolution communiste ont été éliminés au camp S21. Sous la direction de Duch, professeur de mathématiques de formation, des bourreaux les obligeaient à dénoncer par écrit des traîtres avant de les exécuter d'un coup de barre de fer à la nuque.

«Le plus important, pour moi, c'est de savoir comment mon père est mort, confie Phung Sunthary. Comment peut-on faire le deuil quand on ne sait pas?» Dans les archives de la prison, elle n'a trouvé que la photographie de son père, un rapport d'interrogatoire de quatre pages et la date de son incarcération. A-t-il été torturé? Où se trouve sa dépouille? «J'attendais que la vérité sorte de la bouche de Duch à son procès. Il n'a rien dit.»

L'an dernier, l'accusé s'est longuement exprimé au cours des 77 jours d'audiences de son procès. Mais il a donné peu de détails personnalisés aux proches de ses victimes. Il a exprimé des remords. Il a demandé pardon. Il a pleuré. «Tout cela était calculé. Duch n'est jamais allé au-delà des preuves déjà existantes», analyse Silke Studzinsky, avocate de la partie civile.

Le verdict dans le procès de Duch sera le premier rendu dans cette opération judiciaire parrainée par l'ONU. Un second procès est en préparation, où quatre hauts dirigeants khmers rouges seront sur le banc des accusés. Le procès de Duch n'était pas le plus important, mais il était le plus facile à organiser: l'accusé a accepté de coopérer avec la justice, et ses crimes ont été commis à un seul endroit, au camp S21. Ce qui n'est pas le cas des acteurs du prochain procès.

Gifle pour les victimes

Comment trouver le chemin de la réconciliation dans ce climat de méfiance? C'est d'autant plus difficile que les victimes ont l'impression que Duch cherche encore à les tromper. En novembre dernier, il a brusquement demandé à être remis en liberté alors qu'il avait passé les 10 mois précédents à exprimer des regrets. Une gifle pour les parties civiles. «Nous n'avons rien à pardonner à des criminels qui sont entrés dans notre vie pour simplement la gâcher», tranche Ouk Neary, dont le père a aussi disparu au camp S21.

Les victimes attendent qu'une lourde peine soit prononcée contre Duch, lundi. Pas par vengeance. Mais pour l'amener à réaliser la gravité de ses crimes. «Et plus tard, vers la fin de sa vie, Duch parlera peut-être», espère Phung Sunthary, assise sous un frangipanier dans la cour du centre S21. Elle n'exclut pas de retourner voir l'accusé pour le questionner, un jour. Son combat pour la vérité continue.

Interférences politiques

En plus de Duch, le tribunal de Phnom Penh jugera un très petit nombre de suspects. Beaucoup de criminels khmers rouges ne seront donc jamais inquiétés. Bourreaux et victimes continueront à vivre côte à côte après ces procès. «Des commissions vérité pourraient aider à la réconciliation», avance Me Studzinsky. Mais elle sait que le gouvernement cambodgien, composé d'anciens Khmers rouges, n'en veut pas. Le premier ministre a souvent déclaré souhaiter que le tribunal n'incarcère pas plus de cinq suspects. «Peu importe le nombre, la majorité des Cambodgiens veulent un tribunal indépendant», précise Thun Saray, président d'une association de défense des droits de l'homme. D'après lui, ces interférences politiques risquent de frustrer les Cambodgiens et de rendre la réconciliation plus difficile.