Le calme après le chaos. Le coeur de Bangkok était dévasté hier, mais les violences avaient cessé au lendemain de l'assaut donné par l'armée contre les chemises rouges. L'heure était au bilan. Les confrontations ont fait 14 morts et 91 blessés. La destruction et le pillage de commerces ont fait perdre des appuis au mouvement contestataire, constate notre collaborateur. Et l'impasse politique demeure entière.

Hier matin, à Bangkok, le son des balles de la veille a fait place au bruit de poteaux de métal qui s'entrechoquent alors qu'on s'est affairé toute la journée à démonter les centaines de tentes du camp principal des chemises rouges, toujours sous haute surveillance militaire.

 

Certaines parties du centre-ville sont cependant encore inaccessibles. Le gouvernement, qui a admis hier avoir sous-estimé l'ampleur de la réaction à l'assaut militaire, soutient que des tireurs d'élite des forces rebelles sont toujours postés dans des édifices en hauteur à l'affût de cibles potentielles.

Le couvre-feu, mis en vigueur mercredi, sera maintenu la nuit jusqu'à samedi.

Les autorités ont passé au peigne fin les 142 hectares du parc Lumpini et y ont trouvé un important stock d'armes et de munitions, dont 18 grenades et leur dispositif de lancement, 250 cartouches de munitions de fusils m16 et quelques cartouches de munitions d'armes semi-automatiques. La police a également découvert 27 grenades et un fusil m16 à l'intérieur du temple bouddhiste Wat Pathum Wanaram, situé à deux pas du campement principal des chemises rouges et du centre commercial incendié Central World.

Devant les décombres encore fumants du centre commercial, les Thaïlandais, incrédules, ont passé la journée à déambuler, appareil photo à la main, pour immortaliser ce triste chapitre de leur histoire.

«Désolant»

Parmi eux, un Montréalais, Wolf Dziambor, croque lui aussi quelques photos des pompiers qui arrosent encore, 48 heures après l'émeute, l'amas de métal tordu de ce qui était le joyau du capitalisme thaïlandais: «C'est incroyable et désolant», laisse-t-il tomber en hochant la tête.

Le retraité installé à Bangkok depuis six ans plonge sa main au fond de sa poche et la ressort en montrant discrètement au fond de sa paume deux balles d'arme semi-automatique: «Je les ai trouvées par terre en sortant de chez moi après l'assaut de l'armée.»

À ses côtés, un chauffeur de moto-taxi, coiffé de son casque blindé, observe lui aussi la scène avec, dans le regard, un fond de désolation trahi par un sourire en coin: «Ce n'était pas une bonne chose à faire. Mais, en même temps, vous devez comprendre que c'est une réaction de colère des chemises rouges de voir que leur propre gouvernement a utilisé les armes contre ses citoyens pour mettre fin à un mouvement qui demande simplement la démocratie», lance-t-il, en refusant d'être identifié.

Mais pour une grande partie de la population, l'assaut de l'armée n'excuse pas les incendies. La destruction et le pillage de commerces ainsi que la fermeture de plusieurs hôtels ont fait perdre des plumes au mouvement des chemises rouges. Plusieurs Thaïlandais à faible revenu se retrouvent sans emploi, dans une situation pire que celle dénoncée au départ par les dirigeants des «rouges»: «La population est divisée. Beaucoup de Thaïlandais soutenaient le mouvement des rouges depuis le tout début. Mais ce qu'ils ont fait au cours des derniers jours leur a fait perdre beaucoup de sympathie dans la population en général», dit le Wolf Dziambor.

Le conflit n'est pas terminé

Ce qui semble faire l'unanimité, c'est le sentiment que tout ça est loin d'être terminé. Personne ne croit vraiment que les violences vont se poursuivre, mais plusieurs s'entendent pour dire que le gouvernement en place doit maintenant régir. «Je pense que ça va continuer encore quelques jours, estime le Montréalais, mais une chose est certaine: le premier ministre n'aura pas le choix d'organiser des élections hâtives et peut-être même changer la Constitution.»

Mais s'il fallait que le contraire se produise et que Bangkok sombre à nouveau dans un climat de guerre civile, Wolf Dziambor, lui, tirerait sa révérence: «J'aime la Thaïlande, les Thaïlandais sont vraiment très gentils et le coût de la vie, ici, est vraiment très abordable. Mais si ça continue, c'est clair que je vais quitter le pays. Peut-être pour la Malaisie, où c'est vraiment plus calme.»