L'armée qui prend d'assaut les barricades des «chemises rouges» et, ensuite, la reddition de quatre chefs du mouvement populaire et l'imposition d'un couvre-feu: hier, le gouvernement thaïlandais a tout fait pour montrer qu'il a eu raison de ses opposants. Mais est-ce vraiment le cas? Survol en quatre questions.

Le gouvernement thaïlandais et ses supporteurs, les «chemises jaunes», peuvent-ils crier victoire contre les «chemises rouges»?

 

Non. Hier, alors que quatre chefs des chemises rouges se rendaient aux autorités, disant qu'ils voulaient stopper le carnage, d'autres protestataires ont annoncé qu'ils continueraient leur lutte. Ils ont d'ailleurs incendié divers immeubles dans le centre-ville de Bangkok. Par ailleurs, il semble que des chemises rouges se soient regroupées dans le Nord rural du pays, d'où le mouvement est largement originaire. Deux édifices gouvernementaux ont été mis à sac à Udon Thani et à Khon Kaen. «L'insurrection principale est terminée, mais il reste encore beaucoup d'éléments actifs. (La répression des derniers jours) n'a pas fait disparaître les inégalités qui sont à l'origine de la crise», note Erik Kuhonta, politologue de l'Université McGill.

Quelles sont, au fait, les origines de la crise?

Selon les experts, la Thaïlande est un pays particulièrement hiérarchisé dans lequel les élites urbaines ont beaucoup de pouvoir. Les campagnes, beaucoup plus pauvres, se sentent historiquement mises de côté. C'est particulièrement vrai pour le nord du pays. L'élection de Thaksin Shinawatra à la tête du pays en 2001 a un peu changé la donne. Homme d'affaires multimilliardaire, montrant peu de respect pour les droits de la personne, Thaksin a néanmoins beaucoup investi dans les campagnes quand il est arrivé au pouvoir et a facilement remporté des élections législatives en 2005. Le mouvement des chemises rouges est né après le renversement de Thaksin lors d'un coup militaire en septembre 2006.

Pourquoi quatre ans se sont-ils écoulés entre ce coup d'État et la crise actuelle?

Ces quatre années n'ont pas été de tout repos. À deux reprises, la population thaïlandaise a ramené au pouvoir des alliés de Thaksin. Leur élection a causé la révolte des chemises jaunes, mouvement principalement composé de Thaïlandais de la classe moyenne, qui ont manifesté pendant de longs mois pour demander la démission des nouveaux gouvernements élus, allant jusqu'à bloquer l'aéroport de Bangkok. La Cour thaïlandaise a fini par leur donner gain de cause et a ordonné la dissolution des gouvernements pro-Thaksin. Le gouvernement du premier ministre Abhisit Vejjajiva, actuellement en place, n'a pas été élu au suffrage universel. Il a été mis en place par le Parlement. Ces manigances juridico-politiques ont nourri la colère des chemises rouges.

Que demandent les chemises rouges?

Cette coalition, qui regroupe à la fois des militants pro-démocratie, des paysans du nord du pays et des militants de la gauche, ne s'entend pas sur toutes ses revendications, mais se rallie autour d'un grief commun: l'illégitimité du gouvernement actuel. Malgré les événements des derniers jours, cette récrimination n'a pas changé. «Il n'y aura pas de réconciliation en Thaïlande sans la tenue d'élections», croit Erik Kuhonta. Certaines franges des chemises rouges demandent aussi que les responsables de la répression des dernières semaines (plus de 65 personnes ont été tuées depuis le 10 avril) soient traduits en justice.