L'assaut mené mercredi par l'armée thaïlandaise contre les membres du mouvement des chemises rouges a transformé la ville en zone de guerre. Mais la reddition des leaders de ce mouvement d'opposition et la méthode forte des militaires n'ont pas mis fin au conflit. Les violences ont maintenant gagné le nord-est du pays et la crise semble loin d'être terminée, nous raconte notre collaborateur.

Il suffit de sortir de chez soi pour se rappeler que les événements survenus à Bangkok ne sont pas issus d'un mauvais rêve. À la levée du couvre-feu imposé par le gouvernement, de nombreux militaires sont toujours là, armés jusqu'aux dents, planqués derrière des fils barbelés et des murets de sacs de sable.

La veille, des véhicules blindés de l'armée thaïlandaise et 40 000 soldats ont donné l'assaut sur le principal camp retranché des chemises rouges.

Toute la journée, les balles ont sifflé de part et d'autre du quartier des affaires où s'étaient barricadés les leaders contestataires et leurs partisans.

L'assaut a fait au moins 16 morts (dont un journaliste italien), dont neuf victimes lors d'affrontements dans un temple situé dans le camp des manifestants, a annoncé la police ce matin. Des centaines de chemises rouges, parmi lesquelles des femmes et des enfants, avaient trouvé refuge dans cette pagode. Le lieu avait été auparavant déclaré «zone protégée».

Au bilan global des victimes s'ajoutent une soixantaine de blessés, dont deux journalistes, un Canadien (voir encadré) et un Néerlandais.

Les chemises rouges ont réagi à l'assaut de l'armée en mettant le feu à leurs barricades constituées de pneus usagés. D'épaisses colonnes de fumée noire se sont élevées dans le paysage du centre-ville en émoi. À un certain moment, certains ont cru que tout cela allait dégénérer en guerre civile.

Vers midi, les autorités thaïlandaises ont pris les ondes pour expliquer l'opération militaire en cours, visant à mettre fin à plus de deux mois d'instabilité. Le porte-parole du gouvernement a invité la population à lui transmettre toute information pouvant mener à l'arrestation des leaders contestataires.

Reddition

Puis vers 13h, les leaders des chemises rouges sont sortis de l'ombre et sont montés sur la scène où ils tiennent des discours depuis le début de cette crise pour s'adresser à leurs partisans. Le principal dirigeant des contestataires a empoigné le micro, protégé de toute part par une vingtaine de partisans agissant à titre de bouclier humain contre les tireurs d'élite.

Le discours a été bref. Pas une phrase n'a été prononcée sans qu'une salve de tirs de AK-47 ne retentisse. Plusieurs ont cru qu'ils allaient assister en direct, à la télévision, au meurtre de ce dirigeant dont le prédécesseur a justement été abattu par un tireur d'élite la semaine dernière.

L'armée thaïlandaise l'a laissé faire son discours dans lequel il a annoncé sa reddition. Il a demandé à tout le monde de rentrer à la maison dans le calme. «Cette bataille a fait assez de morts», a-t-il ajouté. Il est descendu de scène où l'attendaient des policiers qui ont procédé à son arrestation.

Dans les minutes et les heures qui ont suivi, Bangkok s'est transformé en ville sinistrée. Pour se venger, les contestataires déçus ont mis le feu à plus d'une trentaine de bâtiments un peu partout dans la ville : la Bourse de Bangkok, des banques et plusieurs centres commerciaux dont l'immense Central World, qui compte huit étages.

Population partagée

Ce matin, les décombres de Central World, deuxième centre commercial en importance d'Asie du Sud-Est, fumaient toujours et la structure du complexe menaçait de s'effondrer.

Dans la population en général, les opinions sont partagées. Wit, qui travaille pour une entreprise de ressources humaines à Bangkok, ne peut s'y rendre depuis jeudi dernier. Il est, d'une certaine façon, soulagé que le gouvernement ait donné l'assaut. «Les autorités auraient dû faire ça bien avant, laisse-t-il tomber. Beaucoup de Thaïlandais dans mon entourage étaient d'accord avec les revendications des chemises rouges. Mais ç'a assez duré. Nous voulons retrouver une vie normale.»

Mais Wit n'est pas dupe. Il sait très bien qu'on est loin de voir la fin ce conflit. Les violences ont maintenant gagné le nord-est du pays, dont sont originaires bon nombre de chemises rouges. Des milliers de manifestants ont ainsi incendié mercredi soir le siège du gouvernement de la province d'Udon Thani, selon le gouverneur Amnat Pagarat.

«Ma plus grande crainte, c'est qu'ils réussissent à incendier Bangkok, dit Wit le plus sérieusement du monde. Écoutez, ils ont réussi à détruire le centre commercial Central World et ce n'est pas rien. À partir de maintenant, je me prépare à toute éventualité.»

Inquiétudes

Les États-Unis, l'ONU, l'Union européenne et le Japon ont exprimé leur inquiétude et condamné les violences qui ont enflammé Bangkok, réclamant le retour au calme et un règlement politique pacifique. Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, s'est dit «profondément préoccupé par l'escalade de la violence et les pertes en vies humaines, ainsi que par les incendies volontaires allumés (hier) à Bangkok».

- Avec l'AFP