La Thaïlande doit impérativement retrouver une forme de consensus politique si elle veut sortir de la crise et éviter de replonger dans un déchaînement de violences, comme elle en a déjà connu à plusieurs reprises, estiment des analystes.

Depuis les attaques à la grenade de jeudi (un mort, 85 blessés) et après les combats de rue meurtriers du 10 avril (25 morts, 800 blessés) qui ont renvoyé le royaume à ses heures les plus sombres, certains éléments dans chaque camp veulent privilégier le dialogue.

Mais le pire n'est jamais loin.

Les confrontations entre «chemises rouges» antigouvernementales et forces de l'ordre ont plusieurs fois basculé en quelques minutes de l'échange de plaisanteries débonnaires aux coups de feu sanglants.

«Cette atmosphère de carnaval qui se transforme en violence vient de très loin», explique Michael Montesano, chercheur à l'Institut des études sur l'Asie du sud-est de Singapour. «C'est toute la Thaïlande que nous voyons ici. Il y a toujours beaucoup de violence sous la surface».

Depuis l'instauration de la monarchie constitutionnelle en 1932, le pays a connu de nombreuses crises politiques et 18 coups d'Etat ou tentatives.

L'Histoire du «pays du sourire» cher aux touristes est parcourue d'épisodes sanglants et d'affrontements entre militaires et manifestants, notamment en 1992 lorsque le roi Bhumibol Adulyadej, figure centrale de l'unité du pays, avait dû intervenir pour faire cesser les hostilités.

Mais cette fois, le souverain reste silencieux. Hospitalisé depuis septembre, il a été sollicité par l'opposition mais n'est pas intervenu publiquement.

«Compte-tenu du (...) respect de la monarchie, le palais peut faciliter une approche vers le consensus. Sans cette intervention, la violence risque de continuer», estime Paul Chambers de l'université allemande d'Heidelberg.

Depuis des décennies, les élites de Bangkok autour du palais royal, l'aristocratie, la magistrature, la hiérarchie militaire ont profité du boom économique. Les masses rurales du nord et du nord-est et une partie des classes urbaines de Bangkok s'en estiment privées et se jugent méprisées.

L'émergence dans les années 2000 de Thaksin Shinawatra, Premier ministre populiste, réélu de façon triomphale puis renversé par un putsch militaire en 2006, a accentué ce fossé.

En menant une politique favorable aux démunis du nord où il est né, Thaksin a réveillé leur conscience politique. Malgré le népotisme, la corruption, les atteintes aux droits de l'Homme dont il est accusé, il est devenu la première «star» de la politique thaïlandaise.

Et malgré son exil à l'étranger, il reste au coeur du conflit. «La haine de Thaksin est plus dangereuse que Thaksin lui-même», assure Michael Montesano. «Parce que le gouvernement est convaincu que Thaksin est derrière les "rouges", il n'y a pas de compromis».

Plus encore après les grenades de jeudi qui ont éclaté lors d'un face-à-face entre manifestants pro et antigouvernementaux, le pays craint des affrontements directs entre Thaïlandais.

«Quand le citoyen prend lui-même en charge sa destinée, ce n'est jamais très bon», relève Jacques Ivanoff de l'Institut de recherche sur l'Asie du sud-est contemporaine (Irasec). «La Thaïlande est une société de consensus, mais c'est aussi une société de violence. Le consensus est en train de s'effondrer. A la moindre étincelle, ça peut partir».

Dans les jours à venir, les acteurs politiques peuvent faire pencher la balance. Consensus ou violence?

«Il existe un sentiment en Thaïlande que s'il y a suffisamment de sang versé, les gens pourront s'asseoir et discuter. C'est clairement dans la tête de certaines personnes», regrette Michael Montesano.