À moins de trois mois de l'ouverture de l'Exposition universelle, les marteaux-piqueurs sont encore en action à Shanghai, dans une opération de démolition-toilettage frénétique, qui n'est pas du goût de tous.

Certains Shanghaiens assistent avec tristesse à la destruction de lieux typiques et populaires comme la rue Wujiang, son marché de nuit et autres institutions comme «Les raviolis frits de Yang».

Yang tient encore debout alors que la destruction des établissements voisins a commencé et chaque jour des files de clients affrontent les nuages de poussière pour déguster ses spécialités. Une dernière fois.

«Je sais qu'il va être détruit. Ca va me manquer» dit Zhang Meici, une retraitée de 61 ans, qui vient de s'y régaler avec son neveu de 11 ans.

«Le thème de l'Expo étant «Une ville meilleure, une vie meilleure», nous devons apporter aux habitants un environnement propre, net», explique Chen Chang, porte-parole du quartier Jing'An où est située la rue Wujiang. «Nous pensons que nos amis étrangers devraient voir un environnement propre pendant l'Expo universelle».

La métropole économique et financière chinoise s'apprête à recevoir jusqu'à 100 millions de visiteurs, principalement chinois, pendant les six mois de l'exposition.

Dans cette perspective, ses responsables ont ordonné un nettoyage à grande échelle, du Bund, l'artère historique longeant le fleuve Huangpu, aux petits quartiers résidentiels assoupis.

L'entreprise de reconstruction entamée dans les années 90, qui a fait surgir du sol des tours modernes, semble s'être accélérée, pour achever de modifier radicalement l'ancienne «perle de l'Orient».

Depuis un an, sont déjà tombés sous les coups des boulets de démolition le Club d'aviron de Shanghai, vieux de 106 ans, plusieurs sites de l'ancien quartier juif et les bâtiments Art déco de la National City Bank of New York, juste derrière le Bund.

Des milliers de gens ont été expulsés de leurs logements, pour laisser place à des projets liés à l'Expo, selon un rapport publié cette semaine par China Human Rights Defenders.

Mais les responsables officiels soulignent que toutes les opérations de relogements se sont passées conformément à la loi.

La rue Wujiang, étroite et piétonnière, bordée d'immeubles de trois étages dotés de balcons en pierre et de toits de tuiles rouges, était une rue animée depuis les premiers jours de la concession internationale américano-britannique dans les années 1850.

On y venait déguster calamar grillé et doufu («fromage» de soja) puant.

À la place, devrait surgir un «nouveau centre d'affaires», annonce un panneau à l'entrée de la rue, arborant la photo d'un Occidental scrutant l'intérieur d'un immeuble de bureau en verre.

«Tout va être rasé d'ici à fin mars», dit un vieux gardien.

Les propriétaires des «Raviolis frits de Yang» pour le moment tiennent bon.

Mais ils n'en n'ont pas moins déjà ouvert un nouveau restaurant dans la portion de rue déjà rénovée. Dans ce centre commercial, certaines enseignes étrangères de restauration rapide ont déjà fermé.

«Cette partie là n'a pas d'atmosphère. Trop propre, trop brillant», explique une habituée du vieux Yang, Chen Meilin, 32 ans.

Pour Paul French, auteur d'un ouvrage sur l'histoire de la rue Wujiang -- autrefois baptisée «ruelle de l'amour « en raison de ses nombreuses maisons closes -- regrette aussi la disparition de l'âme des lieux.

«Regardez la partie refaite de la rue Wujiang: un Starbucks et un café Costa... Qui vient à Shanghai pour y trouver ce qu'on y trouve partout ailleurs?» demande-t-il.