Bien qu'illégale en Inde depuis 1993, la collecte manuelle des excréments humains des membres de la communauté serait le lot de plus d'un million de femmes. Or, certaines d'entre elles se rebiffent. Elles sillonnent le pays pour réclamer la fin de cette tradition, nous raconte notre collaboratrice.

Discrète comme une ombre, le sari bleu délavé lui couvrant la tête, Prem Sheela longe d'un pas nerveux les allées étroites de son district de l'État central du Madhya Pradesh. Comme tous les matins de la semaine depuis 45 ans, la sexagénaire honore sa «responsabilité». 

À l'aide d'un petit balai, elle ramasse dans son panier de bambou les excréments des résidants d'une cinquantaine de maisons des environs.

Prem Sheela est issue de la communauté des Balmiki, la plus basse sous-caste de la plus basse caste indienne, les dalits (intouchables). La mère de six enfants a été mariée à 8 ans, dans une famille dont les femmes pratiquent depuis des générations la tradition du nettoyage manuel des latrines. Elles récupèrent les matières fécales des latrines sèches du quartier pour les planquer dans un dépotoir avoisinant.

«La merde vous coule dessus»

«Au début, j'avais des nausées et j'étais malade à cause des odeurs», explique la veuve dont le mari, bon buveur, est mort d'une cirrhose du foie il y a 10 ans. Elle se plaint aussi de problèmes cutanés chroniques dus à sa collecte matinale. «Mais, le pire, c'est pendant la mousson, lorsque la merde vous coule dessus.»

Au cours des dernières semaines, une douzaine de nettoyeuses de latrines «libérées» - elles ont décidé d'accrocher leur panier, en dépit des menaces des membres des hautes castes - ont fait campagne dans 34 districts de quatre États du sous-continent. Leur but: convaincre Prem Sheela et ses homologues de faire de même.

À l'origine de la tournée, Ashif (qui utilise seulement son prénom en raison de la nature subversive de ses activités) est le coordonnateur de Garima Abhiyan, une organisation non gouvernementale faisant la promotion des droits des dalits.

«Le nettoyage manuel de latrines n'est pas un travail, martèle le bouillant trentenaire. C'est une forme d'esclavage, fondé sur la caste et le genre.»

Pratique interdite

Environ 95% des personnes qui assurent cette tâche ingrate sont des femmes. Les conditions d'hygiène dans lesquelles elles l'exécutent sont non seulement déplorables, mais dangereuses. Ni gants ni masques ne sont utilisés. Les excréments sont simplement couverts de cendre pour masquer l'odeur.

Et ces femmes gagnent un salaire de misère, de l'ordre des 400 roupies par mois (moins de 10$). Prem Sheela confie que les clients rechignent parfois même à verser ce qu'ils doivent ou insistent pour payer avec de vieux vêtements ou du pain indien.

Depuis 1993, la pratique est interdite par la loi en Inde. Mais l'organisation Garima Abhiyan estime qu'elles sont plus d'un million à récolter la crotte des autres pour une pitance. «Même le gouvernement emploie des dalits pour nettoyer les toilettes des stations ferroviaires», déplore Ashif.

Au cours de la campagne des dernières semaines, celles qui, malgré les pressions de la belle-famille et de la communauté, ont cessé d'être nettoyeuses de latrines se sont adressées aux autres qui le sont toujours.

La tresse aux fesses, le sari orange flamboyant, les mains peintes au henné, les bracelets clinquants et les bagues serties de fausses pierres aux orteils, Badambai a ainsi expliqué avec orgueil aux femmes assises en tailleur sur la natte en bambou qu'elle gagne 10 fois plus de roupies aujourd'hui comme travailleuse de la construction. Elle a ensuite fait une pause avant d'ajouter avec emphase: «Mais surtout, je marche la tête haute.»