La fin de l'amnistie qui protégeait de nombreux responsables politiques soupçonnés de corruption sème le trouble au Pakistan, pays déjà instable et soumis à une intense pression de son allié américain pour intensifier la lutte contre les extrémistes islamistes.

Première conséquence de la fin de cette amnistie, décrétée mercredi par la Cour suprême, le ministre de la Défense Ahmed Mukhtar, qui fait l'objet d'une enquête sur une affaire de corruption présumée remontant à l'ancien régime militaire, a été empêché jeudi soir de quitter le pays, alors qu'il devait se rendre en visite officielle en Chine. Face à la confusion qui règne et aux rumeurs qu'elle nourrit, l'ambassadeur du Pakistan aux États-Unis, Husain Haqqani, a démenti tout coup d'État imminent, dans un pays politiquement fragile, car sorti du joug militaire depuis moins de deux ans, et ensanglanté par une violente rébellion islamiste.

L'amnistie, adoptée en 2007 par l'ancien président Pervez Musharraf, concernait plus de 8 000 personnes, dont le chef de l'État Asif Ali Zardari, qui bat des records d'impopularité, et plusieurs de ses ministres.

Son annulation, et la remontée des affaires de corruption qui l'accompagne, «ternit la réputation de l'élite politique» et «inquiète certainement au niveau international, estime l'analyste pakistanais Hasan Askari, professeur à l'université américaine Johns Hopkins.

Le Pakistan est depuis 2001 l'allié des États-Unis dans leur guerre contre le terrorisme, et a lancé, sous leur pression, plusieurs offensives militaires  ces derniers mois contre les talibans, dont certains ont fait allégeance au réseau Al Qaïda, dans le nord-ouest du pays.

Le pays est meurtri depuis trois ans par une vague d'attentats, pour beaucoup attribués au Mouvement des talibans pakistanais (TTP), qui a fait plus de 2.700 morts et s'est intensifiée ces derniers mois en réponse à l'offensive lancée par l'armée dans le Waziristan du Sud, fief du TTP.

«Le principal souci de la communauté internationale va être de voir jusqu'où les joutes politiques entre le gouvernement et l'opposition vont affecter la capacité du Pakistan à lutter contre le terrorisme», estime Hasan Askari.

Pour l'analyste politique Shafqat Mahmood, les tensions politiques ne semblent guère avoir troublé la guerre contre le terrorisme jusqu'ici. «L'appareil sécuritaire est aux mains de l'armée, qui est plutôt autonome», explique-t-il.

Mais le général à la retraite Talat Masood estime lui que cela aura des répercussions si les hauts responsables politiques impliqués dans des affaires s'accrochent à leur poste et se lancent dans une longue bataille judiciaire. «Cela pourrait finir par causer des problèmes en terme de gouvernance et de sécurité», a-t-il déclaré à l'AFP.

M. Askari souligne un aspect positif de l'annulation de l'amnistie par la Cour suprême, qui montre que le système judiciaire pakistanais est déterminé à prendre à bras-le-corps le problème de la corruption au plus haut niveau.

Pour Talat Masood, la démission des ministres concernés ou un remaniement ministériel pourrait permettre une sortie rapide de cette crise politique.

Quant au président Zardari, il reste pour l'heure protégé par son immunité. Mais des opposants pourraient contester son éligibilité en justice. De telles procédures pourraient durer des mois, avec un chef de l'État qui semble pour l'heure déterminé à «se battre jusqu'au bout», note Shafqat Mahmood.