Assise sous l'arbre centenaire de sa petite cour, au coeur de Pékin, Mme Li ne cache pas son exaspération et sa tristesse à l'idée de voir la maison de sa famille depuis huit générations prochainement détruite, sur ordre des autorités.

La sexagénaire habite l'un des plus vieux «hutong» de Pékin, ces vieux quartiers de maisons basses sillonnés par d'étroites ruelles. Sa demeure est située à une encablure seulement de Nanluoguxiang, une allée un peu plus large de ce quartier typique qui a, elle, eu la chance d'être retapée pour devenir aujourd'hui une des rues les plus à la mode de la capitale chinoise, semi-piétonne, bordée de cafés de charme, de petits restaurants, de boutiques de gadgets et d'artisanat chic.

«Je n'ai bien évidemment pas envie de voir ma maison détruite ni de déménager», dit Li, une Mandchoue.

«Le grand-père de mon grand-père vivait ici. J'y ai grandi, mes enfants aussi. Pour nous mettre dehors, mieux vaut qu'ils aient une bonne raison», dit-elle.

L'annonce de la catastrophe à venir est tombée fin juillet, par voie d'affichage dans le hutong: une notice du district de Dongcheng annonçait la prochaine démolition d'une rangée de maisons du voisinage et l'éviction de leurs occupants. Renseignements pris par Mme Li auprès de responsables officiels, il s'agit d'élargir la ruelle pour pouvoir accéder à un parking...

Li, dont les ancêtres faisaient partie d'une élite militaire mandchoue de la dynastie Qing (1644-1911), a été d'autant plus choquée qu'en 1999 les environs de Nanluoguxiang avaient été déclarés «zone de protection culturelle».

Le district de Dongcheng qui remonte à la dynastie des Yuan (1271-1368) comporte certaines des vieilles maisons les mieux préservées de Pékin.

Li et ses voisins estiment être victimes des intérêts immobiliers autour de Nanluoguxiang, devenue trop à la mode pour laisser les investisseurs indifférents.

«La plupart des gens subodorent qu'il y a de la corruption, mais quand on vous dit en Chine de partir, il n'y a pas grand chose à faire», dit Mme Zhang, qui est également en train de perdre sa maisonnette de 60 mètres carrés, non loin.

Comme Li, Zhang refuse de donner son nom complet, craignant des représailles.

Leur situation est relativement commune dans la capitale où les bulldozers mettent souvent à la rue les habitants des vieux quartiers, pour faire la place à des immeubles de bureaux et d'habitations, des parkings et des rues.

La colère des expulsés ces dernières années a poussé les autorités à émettre des séries de réglementations sur les évictions forcées, notamment sur le montant des compensations accordées.

Dans la zone de Nanluoguxiang, ceux qui perdront leur maison espèrent toucher entre 100 000 et 300 000 yuans (10 000 et 30 000 euros) le mètre carré.

Pourtant, le Quotidien du Peuple, organe du parti communiste, a affirmé qu'une telle somme ne serait pas versée.

«Personne n'est venu nous dire ce que l'on toucherait mais il paraît que le dédommagement le plus bas devrait être de 30.000 yuans le mètre carré», dit Li.

«Mais chaque propriétaire doit négocier individuellement. Le processus est très compliqué. Il y a beaucoup de paperasserie et de facteurs que l'on ne connaît pas», ajoute-t-elle.

In fine, les indemnités sont la plupart du temps insuffisantes pour pouvoir se reloger au coeur de la capitale de la troisième économie de la planète.

Au Bureau de la démolition et de l'éviction du quartier, aucun responsable n'a souhaité discuter du projet, baptisé «projet de réforme des infrastructures».

«Nous ne parlons qu'à ceux dont les maisons vont être détruites et ceux qui vont être expulsés», a déclaré un employé en reconduisant prestement le journaliste de l'AFP à la porte.