Comment dire sa solidarité envers les Ouïghours turcophones et musulmans, sans trop déplaire à la puissante Chine ? Tel est la casse-tête que vit depuis le début des incidents sanglants dans le Xinjiang le gouvernement islamo-conservateur en Turquie.

Jeudi, le ministre turc de l'Industrie et du Commerce Nihat Erg-n a appelé au boycott des produits chinois face aux atteintes aux droits de l'homme à Urumqi, capitale du Xinjiang.

«Si le pays dont l'on consomme les produits ne respecte pas les valeurs humaines, il faut reconsidérer notre décision» d'acheter chinois, a-t-il dit.

Témoin de l'embarras officiel turc, le gouvernement n'avait pas réagi, vendredi, à cette déclaration.

Le premier ministre Recep Tayyip Erdogan s'est contenté de déplorer à nouveau des «atrocités» au Xinjiang, ajoutant qu'Ankara était prêt à accorder un visa à la dissidente ouïghoure en exil Rebiya Kadeer.

Selon Pékin, 156 personnes ont été tuées depuis dimanche, alors que Mme Kadeer évoque 400 morts chez les Ouïghours.

«La Turquie est confrontée à un dilemme. D'une part elle a des intérêts réels et forts avec la Chine (...) d'autre part, le gouvernement éprouve de la sympathie et se sent responsable, et l'opinion publique et les médias sont très mobilisés», explique Hugh Pope, de l'International crisis group, auteur d'un livre sur les relations entre Turcs et Ouïghours.

Des milliers de personnes ont ainsi manifesté et prié vendredi en Turquie, en particulier à la mosquée Fatih d'Istanbul, en faveur des Ouïghours, certains mettant le feu à des drapeaux chinois.

Aux premiers jours des incidents sanglants, La Presse turque a reproché au gouvernement sa passivité face à ce que le quotidien Milliyet qualifiait de «chasse aux Ouïghours».

«Nous attendons que les Turcs ouïghours puissent au moins bénéficier de la sympathie montrée aux Palestiniens de Gaza», soulignait le journal populaire Sabah, dans une allusion à la condamnation d'Israël par M. Erdogan, en janvier à Davos, pour son offensive militaire sur Gaza.

De fait, dans ses premiers communiqués, Ankara s'est montré prudent, appelant Pékin au «respect scrupuleux de la sécurité des personnes, dans les efforts déployés pour rétablir l'ordre».

«Le peuple turc se sent très proche du peuple ouïghour», indiquait le ministère des Affaires étrangères.

Mercredi, M. Erdogan a annoncé que la Turquie, membre non permanent du Conseil de Sécurité de l'ONU, demandait que le Xinjiang soit mis à l'agenda du conseil. Rejet immédiat de la Chine, qui, membre permanent, a fait valoir qu'il s'agissait d'une «affaire intérieure».

Les événements dans le Xinjiang tombent au plus mal pour la Turquie. Le président Abdullah G-l était fin juin à Pékin, avec une délégation d'environ 120 hommes d'affaires. De nombreux projets ont été discutés, dans les télécommunications, l'électronique et l'automobile, important secteur d'activité turc à la peine avec la crise.

M. G-l, qui comme son gouvernement rejette tout séparatisme turcophone au Xinjiang, a visité Urumqi, et il a porté le qlapan, le costume ouïghour.

«La Turquie a besoin d'entretenir de bonnes relations avec la Chine. De grosses entreprises turques produisent en Chine, et importent d'importantes quantités de produits de Chine. L'armée turque s'intéresse beaucoup à la technologie militaire chinoise», note M. Pope.

Les échanges bilatéraux se sont élevés en 2008 à 17 milliards de dollars, dont 15,6 milliards en faveur de la Chine.

Enfin, explique M. Pope à propos de l'embarras turc dans cette affaire, «comme la Chine avec les Ouïghours, la Turquie n'aime pas que les puissances étrangères se mêlent des conflits ethniques, comme pour les Kurdes. Difficile alors d'en appeler trop fort à un droit de regard international.»