Les 7 000 tentes igloo blanches s'étendent à perte de vue sur un terrain boueux: au moins 60 000 réfugiés tamouls s'entassent depuis trois semaines dans le camp numéro 2 de Manik Farm, dans le nord du Sri Lanka, sous le contrôle total de l'armée.

Le général G.A. Chandrasiri, chef d'état-major de l'armée de terre sri-lankaise, a autorisé en fin de semaine des journalistes de l'AFP à faire une brève tournée dans ce camp gigantesque, mais en interdisant de communiquer avec quiconque. Hommes, femmes, enfants et vieillards tamouls ont commencé à affluer à Manik Farm 2 dès le 20 avril, date du début d'un exode massif de 115 000 civils depuis la zone de guerre où s'affrontent l'armée et les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE), à 90 km plus au nord-est.

Depuis le lancement en janvier de l'offensive militaire finale contre la guérilla séparatiste, les Nations unies estiment que près de 200 000 personnes ont fui le théâtre du conflit et ont été parquées dans des camps dans le nord de l'île.

Les autorités de Colombo imposent un verrouillage presque total -sauf pour des agences de l'ONU, organisations humanitaires et dignitaires étrangers- de ce qu'elles appellent leurs «villages de secours» et que les Tigres surnomment des «camps de concentration».

De fait, Manik Farm 2 est entouré de clôtures en fil de fer barbelé et chaque entrée est gardée par des sentinelles lourdement armées empêchant les gens d'aller et venir, sauf pour se faire soigner dans des hôpitaux des environs, comme dans le chef-lieu départemental Vavuniya ou dans la bourgade voisine de Cheddikulam.

«Nous ne sommes pas complètement libres mais, au moins, il n'y a pas de combats. On a de quoi manger et s'habiller tous les jours», confie à l'AFP Daniel Arunachalam, un Tamoul chrétien de 26 ans rencontré dans un dispensaire de Cheddikulam.

Comme la plupart des réfugiés tamouls, M. Arunachalam et sa famille ont été déplacés de nombreuses fois depuis l'intensification du conflit fin 2008. «Je suis sans nouvelles de mon frère et de sa famille depuis plus d'un mois. Les Tigres les ont entraînés dans leur fuite pour échapper aux bombardements de l'armée», raconte-t-il.

Dans l'enceinte du camp, en fin d'après-midi, des femmes et des enfants font la queue devant des pompes à eau et des réservoirs. Le regard perdu, ils se laissent photographier pendant qu'un soldat leur tend quelques gâteaux. Plus loin, d'autres femmes cuisinent dans d'immenses marmites, tandis que des hommes sirotent un thé ou s'agglutinent derrière un camion chargé de rations alimentaires.

Le silence y est impressionnant, rompu parfois par un haut-parleur nasillard.

Un coup d'oeil furtif à l'intérieur d'une tente, où s'entassent au moins neuf personnes, laisse entrevoir des matelas en plastique, des vêtements, des sceaux et des récipients.

«Je n'ai même un coin privé pour me changer», se plaint Kala Selvakumar, venue se faire soigner à Cheddikulam.

Tentant de rassurer des ONG qui craignent que ces camps de «personnes déplacées» ne se pérennisent, le ministre des Droits de l'Homme et de la Gestion des catastrophes, Mahinda Samarasinghe, a assuré que le gouvernement avait besoin de temps pour déminer et reconstruire dans le nord-est et permettre ainsi aux Tamouls de rentrer chez eux.

Mais Sabesan, un réfugié qui a fui il y a deux semaines le nord-est, est dubitatif. «Je ne peux pas vous dire à 100% que je retournerai un jour chez moi et y retrouverai ma terre», lâche-t-il en souriant, serrant dans ses bras son fils soigné à Cheddikulam d'une vilaine blessure à la poitrine.