C'est le bout du monde. Littéralement. Déjà, pour atteindre l'extrémité ouest de l'île de Java, il faut s'armer de patience. Et de temps. Mais la coopérative de café Buah Ketakasi est encore plus recluse. Cachée dans l'arrière-pays indonésien. Là où les routes ne sont plus des routes et où l'électricité n'est toujours pas arrivée dans les chaumières.

Pour trouver le lien entre le village de Sidomulyo et la modernité occidentale, il faut chercher ailleurs. Dans la fenêtre de quelques maisons bien entretenues, trois lettres sur une petite pancarte: UTZ, que l'on prononce «outse» et que l'on prononce beaucoup ici.

 

Le même logo mystérieux se retrouve sur plusieurs produits vendus partout dans le monde, dont les sacs de café d'IKEA, qui a décidé d'opter pour cette certification au caractère éthique, mieux connue en Europe qu'au Canada.

«Les prix sont meilleurs et le café se vend mieux parce que le label est reconnu», explique Pak Suwarno, directeur de la coopérative qui regroupe 70 agriculteurs.

Les producteurs avouent n'avoir rien changé à la qualité de leur café pour adhérer à la certification éthique. Leur plantation est, par ailleurs, déjà fort bien tenue. Des arbres font de l'ombre aux caféiers. Des cocotiers et manguiers assurent la biodiversité de la plantation et des revenus supplémentaires aux maîtres des lieux. Le groupe fait pousser du café robusta, comme 90% des producteurs indonésiens. L'altitude trop basse ne leur permet pas de faire le précieux arabica, recherché pour ses arômes et son goût nettement supérieurs, explique Pak Suwarno. Autour de lui dans son salon, plusieurs producteurs sont venus raconter leur expérience, alors que Mme Suwarno prépare des arachides sucrées pour cette étonnante visite venue de l'autre bout du monde.

Le scénario tient d'un conte oriental, jusqu'à ce que le sujet tombe sur les vraies affaires: combien payez-vous pour une tasse de café en Amérique, demande la trésorière du groupe, Sri Purwati.

Cela peut aller jusqu'à trois dollars. Environ 27 000 rupies indonésiennes.

Le groupe s'esclaffe. Hilarité générale durant de longues minutes.

Préparer un expresso demande environ huit grammes de café vert. Au bout de la chaîne, le fermier aura reçu moins d'un cent.

Les producteurs de café UTZ reçoivent trois cent de plus pour chaque kilo.

C'est très noble, mais pas toujours efficace, croit Alun Evans, petit marchand de café installé en Indonésie. «Les gens qui travaillent pour les certifications, éthiques ou équitables, sont pleins de bonne volonté, explique ce Néo-Zélandais d'origine. Mais ils ne sont pas souvent sur le terrain faire des contrôles.»

Evans fait ce que peu d'entrepreneurs du café font parce que ce n'est pas très payant. Il parcourt le pays et fait affaire directement avec des petits producteurs. En Indonésie, 95% des plantations de café sont des fermes familiales. C'est d'ailleurs ce qui fait que le mouvement équitable y soit si peu répandu. «Les fermiers manquent d'éducation et en plus, chacun n'a qu'un tout petit volume à proposer aux acheteurs étrangers.»

Alun Evans déplore aussi que plusieurs programmes ne veuillent que le café, sans s'intéresser à la communauté qui le produit et qui a de grands besoins, qui vont bien au-delà des quelques sous supplémentaires qu'on leur offre de plus pour leurs grains.

Les consommateurs qui payent davantage pour un café certifié équitable en croyant qu'il est produit par une ferme familiale, comme c'est le cas à la coopérative Buah Ketakasi, se font souvent berner, croit Alun Evans.

Par exemple, la certification UTZ offre un programme de traçabilité qui permet au consommateur de savoir exactement d'où vient son café. Mais encore faut-il avoir assez d'informations pour en juger efficacement. À preuve, cette plantation indonésienne qui fournit du café pour IKEA. On nous la présente comme une plantation écologique située en altitude, dans un environnement paradisiaque et volcanique. C'est vrai. Ce qu'on oublie toutefois de révéler au consommateur, c'est qu'elle appartient... au gouvernement indonésien!

Une très petite proportion des plantations de café d'Indonésie sont des sociétés d'État, mais c'est le cas de celles qui se trouvent (difficilement!) sur le plateau d'Ijen, 2368 mètres au-dessus du niveau de la mer.

Une visite-surprise effectuée l'automne dernier, visite très peu appréciée de la direction de la plantation, confirme qu'il s'agit d'une très grosse entreprise où les employés sont de véritables fonctionnaires. Certes, leurs conditions de travail et de vie sont nettement au-dessus de la moyenne indonésienne. Mais comment une entreprise étatique peut-elle être considérée éthique?

«La certification UTZ s'intéresse aux conditions de travail des employés et à leurs accès à des soins de santé», explique Tamara Robbins, porte-parole d'IKEA au Canada, qui réitère sa confiance au programme.

Les employés sont logés sur place, ils reçoivent le salaire minimum établi selon le prix de l'huile à friture, notamment. Les travailleurs rencontrés par hasard affirment obtenir une soixantaine de dollars pour 25 jours de travail dans le mois. Mais ils ne consomment pas leur café arabica. Comme tous les grains de qualité en Indonésie, le café du plateau d'Ijen part en Occident. Où le consommateur est prêt à le payer 3$ la tasse.