Les talibans se renforcent au Pakistan, conduisant les observateurs à s'interroger sur les risques de voir tomber les armes nucléaires du pays entre les mains des extrémistes musulmans. Les autorités d'Islamabad se veulent rassurantes, mais peinent à apaiser les inquiétudes de Washington.

Le président pakistanais Asif Ali Zardari rencontrera Barack Obama mercredi à Washington, et le dossier de la sécurité nucléaire pakistanaise devrait être évoqué dans le cadre de discussions sur l'insurrection talibane au Pakistan. M. Zardari a récemment affirmé que «les capacités nucléaires du Pakistan sont entre des mains sûres».

Les autorités américaines restent malgré tout préoccupées. «Nous voulons respecter (la) souveraineté» du Pakistan, a déclaré récemment M. Obama. «Mais nous reconnaissons également que nous avons d'énormes intérêts stratégiques, de sécurité nationale, dans le fait de s'assurer que le Pakistan est stable et que l'on ne va pas se retrouver avec un État militant doté de l'arme nucléaire.»

Avant d'être assassinée en 2007, l'ancien premier ministre pakistanais Benazir Bhutto avait évoqué ses inquiétudes, jugeant que des éléments proches d'Al-Qaeda pourraient détourner les armes nucléaires pakistanaises si les talibans n'étaient pas neutralisés.

Des systèmes de sécurité ont été mis en place pour empêcher une catastrophe, assurent des responsables pakistanais. La soixantaine de têtes nucléaires du pays seraient stockés dans des lieux séparés des systèmes de lancement, et les détonateurs gardés à l'écart des charges. Les armes sont dispersées sur plusieurs sites, la plupart au sud d'Islamabad, et «protégées» par des codes. Au moins deux personnes doivent authentifier les codes avant que les ogives ne puissent être sorties de leur dépôt.

Des soldats spécialement formés patrouillent les sites sensibles, dont certains sont interdits de survol aérien. Et le profil du personnel de ces installations fait l'objet de contrôles réguliers des services de renseignement.

Les autorités pakistanaises «tiennent à leur arsenal nucléaire pour des raisons stratégiques, ce qui veut dire qu'elles sont très motivées pour le protéger», note William Tobey, ancien administrateur-adjoint du Bureau de non-prolifération nucléaire (ODNN), une agence américaine. «Ceux qui sont responsables de ces armes sont dévoués et professionnels.»

Toutefois, certains observateurs évoquent une menace liée à d'éventuelles sympathies pour la cause islamiste au sein de l'appareil de sécurité pakistanais. L'ancien responsable du renseignement américain Rolf Mowatt-Larssen cite l'assassinat fin 2007 de Benazir Bhutto comme un exemple de connivences possibles entre les autorités en charge de la sécurité et les extrémistes. Il craint que de tels liens puissent également exister entre les autorités nucléaires du pays et les islamistes.

L'Iran, la Libye et la Corée du Nord ont acheté leur savoir-faire nucléaire au scientifique pakistanais A.Q. Khan, considéré dans son pays comme un héros pour son rôle clé dans la mise au point de la bombe pakistanaise. Et selon des agences de renseignement occidentales, deux physiciens à la retraite de la Commission pakistanaise à l'énergie atomique, Chaudiri Abdul Majeed et Sultan Bashiruddin Mahmood, auraient rencontré Oussama ben Laden avant les attentats du 11 septembre 2001 pour lui proposer des armes nucléaires.

L'armée pakistanaise est également une source potentielle de préoccupation. C'est une armée «sérieuse» et «très disciplinée», note Robert Grenier, ancien membre de la CIA qui a été en poste à Islamabad. Mais certains en son sein pourraient «avoir un certain niveau de sympathie pour les objectifs, voire pour les méthodes» des extrémistes musulmans, ajoute-t-il.

De leur côté, les talibans veulent imposer leurs vues religieuses à l'ensemble du pays, explique Hassan Abbas, un ancien chef de la police pakistanaise aujourd'hui membre du Centre Belfer pour la science et les affaires internationales à l'université de Harvard. Mais, ajoute-t-il, ils n'ont pas les moyens de pénétrer le système de sécurité nucléaire pakistanais, du moins pour l'instant.

«A ce stade, ils cherchent de l'artillerie lourde.» Ils sont une menace pour le système constitutionnel, les partis libéraux et les droits de l'Homme au Pakistan, «mais pas pour les autorités nucléaires», conclut-il.