Le gouvernement sri-lankais n'a rien ménagé ces derniers mois pour venir à bout du conflit qui l'oppose depuis 25 ans aux Tigres tamouls. Selon toute vraisemblance, l'armée du pays s'emparera dans les prochaines heures des derniers arpents dominés par les rebelles armés. Et après? Le cri de la victoire risque d'être de courte durée. Le pays doit maintenant faire face à une grave crise humaine ainsi qu'aux questions embarrassantes de la communauté internationale.

Les manchettes québécoises d'urgences surchargées feraient rire les médecins de l'hôpital de Vavunyia, situé près de la zone où s'affrontent l'armée sri-lankaise et les Tigres tamouls. L'hôpital, qui compte 400 lits, déborde. Plus de 1750 patients s'y trouvent entre la vie et la mort.

 

L'organisation Médecins sans frontières, qui y coordonne les soins, craint que ce taux d'occupation de 450% ne soit que le début de ses maux de tête.

Tous les jours, de nouveaux patients arrivent. Leurs blessures racontent ce qui se passe 85 km plus loin, dans la zone de conflit où les journalistes et la plupart des organismes humanitaires sont interdits de séjour.

«Ils arrivent avec des blessures encore fraîches. Près de 75% d'entre eux ont subi des blessures causées par des balles ou des éclats d'obus ou encore par des mines antipersonnel», explique au bout du fil le coordonnateur des opérations de MSF au Sri Lanka, Laurent Surry. Difficile, dans ces circonstances, de croire l'armée sri-lankaise, qui nie qu'elle bombarde la région du Vanni.

Désastre humanitaire

Notant que la situation est intenable à l'hôpital, le représentant de MSF remarque cependant que la crise humaine est loin de se limiter à ses quatre murs.

On ignore notamment pour le moment dans quel état se trouvent les 50 000 civils tamouls qui sont toujours prisonniers des combats, pris en étau entre les Tigres tamouls (LTTE) et les soldats dans un territoire de la grandeur du Central Park de Manhattan.

Et qu'en est-il des 140 000 autres personnes qui viennent tout juste de fuir les affrontements et qui ont été redirigées vers les camps de réfugiés dirigés par les autorités du pays, mais où elles sont gardées incommunicado?

Le gouvernement distribue des tentes, mais la chaleur qui règne dans les 13 camps archibondés est torride. Les réfugiés n'ont nulle part où se cacher du soleil pendant la journée. La nourriture manque.

Certains d'entre eux tentent déjà d'échapper à leur sort en ayant recours à des embarcations de fortune. L'Inde, dont la pointe septentrionale est à 31 km du Sri Lanka, s'inquiète de l'arrivée massive de réfugiés tamouls. L'Australie est à 6000 km de l'île de l'océan Indien, mais déjà, le ministre des Affaires étrangères est sur un pied d'alerte.

Malgré la gravité du moment, les organisations humanitaires peinent à faire venir du renfort. «Il y a beaucoup de procédures gouvernementales à suivre pour faire venir des gens et de l'équipement», déplore Laurent Surry.

Conscient de ces obstacles, le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a décidé lundi d'envoyer une équipe d'urgence qui fera pression sur les autorités pour avoir accès aux civils en danger. La tâche ne sera pas facile. Pour le moment, les politiciens de Colombo, qui représentent la majorité cinghalaise bouddhiste de l'île, nient l'existence d'une crise humaine frappant la minorité tamoule, majoritairement hindoue.

Vers une solution politique?

L'attitude du président Mahinda Rajapaksa soulève l'ire de la communauté internationale. Les Nations unies demandent un cessez-le-feu immédiat, notant que 6500 civils ont été tués depuis le mois de janvier. Le Conseil de sécurité a pour sa part enjoint mercredi soir aux Tigres tamouls de se rendre. Les deux parties au conflit ne veulent rien entendre.

Selon Marc Schneider, vice-président de l'International Crisis Group, il n'existe qu'une issue au bourbier humanitaire et politique du Sri Lanka: un cessez-le-feu et une reddition des Tigres tamouls, supervisée par les Nations unies et suivie d'un dialogue politique visant à accorder une certaine autonomie à la minorité tamoule. Car même si l'armée venait à bout du mouvement séparatiste armé, le problème de l'autodétermination tamoule, à la racine du conflit, ne sera pas réglé.

De plus, l'International Crisis Group, tout comme Amnistie internationale et Human Rights Watch, demandent la tenue d'une enquête indépendante sur les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité commis tant par l'armée sri-lankaise que par le LTTE au cours des derniers mois du conflit, voire au cours des 30 dernières années.

En tout, plus de 80 000 personnes ont laissé leur vie dans cette confrontation sans merci entre l'État sri-lankais et le mouvement séparatiste. La grande, grande majorité appartenait à la minorité tamoule.