En réponse au 50e anniversaire du soulèvement tibétain, commémoré en grande pompe il y a deux semaines par les fidèles du dalaï-lama, les autorités chinoises ont décidé de fêter hier le «jour de la libération de milliers de serfs» tibétains par le régime communiste. Leur version de l'histoire fait plus d'un sceptique, et pas seulement dans les rangs tibétains.

Toute la façade du palais culturel des minorités, à Pékin, a été recouverte de la photographie du palais du Potala, l'ancienne résidence principale des dalaï-lamas à Lhasa, devenu musée sous le régime chinois. Le visiteur doit comprendre qu'il met les pieds au Tibet pour y voir enfin la «vérité» de ses propres yeux.

L'entrée donne le ton de l'exposition, organisée par le Bureau de l'information pour souligner le «jour de la libération de milliers de serfs». Cette fête, soulignée hier, a commémoré pour la première fois cette année la signature, le 28 mars 1959, du décret de dissolution du gouvernement tibétain.

Dans la première pièce, les visiteurs voient deux imposantes photos des deux derniers dirigeants chinois, Jiang Zemin et Hu Jintao, au milieu de Tibétains souriants, une écharpe blanche en soie ou en tulle autour du cou, comme le veut la tradition tibétaine d'accueil des hôtes de marque.

Un peu plus loin, des tampons et des écrits des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles supposés prouver l'intégration du Tibet à l'empire chinois. Des fouets et des menottes de bois ou de fer sont censés exposer les atrocités qu'ont fait subir aux civils les dirigeants religieux tibétains avant la libération.

Incrédulité

Mais ces objets exposés, tout comme la répétition à l'infini des mots «serf» et «libération pacifique», semblent vite semer le doute chez les visiteurs chinois, venus parfois individuellement mais souvent avec leur comité de quartier, leur entreprise ou leur école pour les plus jeunes. «Libération pacifique? Pour qui nous prennent-ils?» murmure un sexagénaire à son voisin, tout en haussant les épaules.

Dans les deux premières parties de l'exposition, les commentaires se font rares. Chacun, le front plissé, regarde les panneaux d'explication. Certains montrent du doigt les dizaines de représentations de serfs enchaînés, affamés et meurtris.

La troisième partie de l'exposition sur «les réformes démocratiques du Tibet» provoque des réactions bien plus franches, exprimées par des rires gênés ou de la colère. Devant les photos de fermiers tibétains souriants tenant à la main leur nouveau titre de propriété, ou d'une paysanne tenant des épis de blé et une faucille, difficile pour les Pékinois de ne pas faire le rapprochement avec la propagande déployée pendant la révolution culturelle sur le bonheur et le bien-être de la population chinoise, qui vivait pourtant alors l'une des périodes les plus sombres de son histoire.

«Avec mon expérience dans le cinéma, je peux te dire que tous ceux-là ne sont que des figurants», assure à voix basse un septuagénaire à sa femme. «Regarde, cela se voit. Ils pensent qu'on a tout oublié ou quoi?» «Chut, tais-toi, pas si fort,»lui assène-t-elle en regardant autour d'elle, inquiète.

Les plus jeunes semblent en revanche plus partagés. L'amoncellement de «preuves» sur les bienfaits de la « libération pacifique » du Tibet provoque la confusion. L'un d'entre eux finit par dire à ses camarades: «Ce serait quand même bien que le Tibet fasse de nouveau partie de la Chine!»