Sri Wulandaru pourra-t-elle continuer à se déhancher au son langoureux du gamelan? Le jaipong, la danse traditionnelle javanaise, est menacé par une récente loi «contre la pornographie» adoptée sous la pression des musulmans conservateurs indonésiens.

Sur la scène, la jeune danseuse de 30 ans ignore les sifflets et les regards salaces que lui lancent, en contrebas, les hommes à moitié ivres lui offrant des billets. Sri Wulandaru s'y est habituée depuis qu'elle se produit dans les villes et villages de l'ouest de Java, où le jaipong est l'un des spectacles les plus populaires.

«Les hommes lancent des grossièretés et me demandent en mariage mais je suis une danseuse professionnelle, pas une prostituée. La danse jaipong n'est pas sale», explique la jeune femme.

Tout le monde ne partage pas cet avis. C'est le cas du gouverneur de la province de Java Ouest, Ahmad Heryawan. Cet élu d'un parti islamique a lancé la polémique en demandant aux danseurs de jaipong de modérer leur gestuelle suggestive et de couvrir leurs avant-bras pour se conformer à la récente loi «anti-pornographie».

Adopté fin 2008, ce texte criminalise les oeuvres et les «mouvements» considérés comme obscènes et pouvant violer la moralité publique. Il est entré en vigueur malgré une levée de boucliers de la part d'artistes, d'associations et des minorités religieuses, comme les hindouistes ou les chrétiens, qui craignent une «islamisation» de la société indonésienne.

«Il est possible que, lorsque la loi sera pleinement appliquée, la danse (jaipong) soit interdite parce qu'elle est trop érotique», estime Tifatul Sembiring, un responsable du parti islamique PKS.

«Mais de quoi parle-t-il?», s'insurge Mas Nanu Muda, dont l'association regroupe 20 troupes de jaipong. «Les danseuses ne portent pas de petites tenues sexy mais sont habillées jusqu'au bout des bras», fait-il remarquer.

«Notre danse est rapide et énergique... Si on limite les gestes et ralentit les mouvements, cela ne paraîtra-t-il pas encore plus lascif?», interroge-t-il, en se cabrant avec délicatesse pour joindre le geste à la parole.

«Le jaipong fait partie de notre culture et n'a rien de pornographique», renchérit Sri Wulandari, en souhaitant que les responsables politiques s'occupent des vrais problèmes au lieu de s'ériger en parangons de vertu pour raisons électoralistes.

Le jaipong a été créé par le chorégraphe Gugum Gumbira dans les années 60, peu après la dénonciation par le président Soekarno de l'influence néfaste du rock n'roll. Il mélange des styles traditionnels de danse villageoise à l'art martial indonésien du pencak silat. Aux regards étrangers, il évoque la grâce des mouvements de main de la danse thaïlandaise mixés aux déhanchements entraînants de la danse du ventre turque.

«C'est une danse populaire lors des fêtes et des mariages», indique Askary, responsable du tourisme et de la culture pour la ville de Bandung, à 130 km de Jakarta. «Elle demande à être suggestive mais faut-il pour autant la juger émoustillante ou lubrique?».