Le dalaï-lama a marqué hier le 50e anniversaire de la rébellion qui l'a conduit à l'exil avec un discours particulièrement accusateur. Au Tibet même, les autorités chinoises ont étroitement contrôlé la population et les monastères, interdisant notamment l'envoi de messages textes par téléphone, pour éviter une répétition des émeutes de l'an dernier.

«Aujourd'hui, la religion, la culture, le langage et l'identité que des générations de Tibétains ont considéré plus précieux que leurs vies, sont près de l'extinction», a tonné le dalaï-lama, depuis le siège de son gouvernement en exil, à Dharamsala, dans le nord de l'Inde.

 

Cette sortie suit son aveu d'échec, en novembre dernier. La «voie du milieu», sa politique constante à réclamer l'autonomie du «Tibet unifié» plutôt que l'indépendance, n'a pas réussi à atteindre ses buts, a constaté le leader tibétain, avant de convoquer un congrès populaire qui n'est pas parvenu à proposer de voie de rechange.

L'un des problèmes est que la Chine voudrait plutôt limiter l'autonomie à la Région autonome du Tibet, qui comprend moins de la moitié de la superficie de la Chine tibétaine, et le tiers de ses habitants, selon Tseten Wangchuk, chercheur à l'Université de Virginie qui a publié en 2004 une étude sur les négociations sino-tibétaines depuis la fin des années 40. «Dans ses frontières de 1950, le Tibet constitue le quart de la Chine actuelle», note-t-il.

Contrer la critique

Le ton sombre du dalaï-lama pourrait d'ailleurs être une stratégie pour contrer les critiques estimant qu'il aurait dû davantage appuyer les émeutes de mars 2008 et revendiquer l'indépendance pure et simple.

«Je ne crois pas que le dalaï-lama croit vraiment que sa stratégie est un échec, dit M. Wangchuk. Il a réussi à internationaliser la question du Tibet, ce qui a empêché la Chine de vraiment intégrer la région. Que le Tibet soit en grande majorité tibétain, après un demi-siècle d'occupation par une nation aussi puissante et peuplée que la Chine, c'est en soi une victoire.»

Faire taire les critiques permet aussi au dalaï-lama de conserver son ascendant, ce qui sera crucial pour désigner un successeur, note Pico Iyer, qui a publié l'an dernier une biographie du dalaï-lama, The Open Road.

«Il veut passer à la démocratie, mais il faudra que ce soit graduel, alors il devra nommer un successeur qui sera respecté et qui continuera la lente transition démocratique», dit M. Iyer. Depuis 2001, le dalaï-lama délègue certaines de ses responsabilités à un premier ministre élu.

La Chine a rétorqué au discours de Dharamsala en affirmant que la conquête chinoise avait permis au Tibet de s'extirper du féodalisme. Pico Iyer note justement qu'au moment de quitter définitivement le Tibet, le 31 mars 1950, le dalaï-lama s'est exclamé: «Enfin nous sommes libres.» «L'exil en Inde a rendu beaucoup plus facile la tâche de moderniser le Tibet, parce qu'il fallait reconstruire les institutions de zéro», estime M. Iyer.

 

GUERRE DE CHIFFRES

La Chine affirme que la proportion tibétaine de la population a augmenté dans la Région autonome du Tibet entre 1990 et 2000, de 90% à 93%. Certains critiques, dont Tseten Wangchuk, notent que le recensement de 1990 a été fait en juillet, et celui de 2000 en novembre; or, beaucoup de Chinois Han ne séjournent au Tibet que durant l'été. Dans les autres provinces chinoises en partie tibétaines, la majorité de la population est tibétaine, sauf dans la ville de Xining et la vallée très urbanisée de Haidong. Détail intéressant, le village natal du dalaï-lama, Hong Ya, est situé dans une zone à majorité musulmane dans l'est du Tibet de 1950.

 

LE TIBET RÉTRÉCIT MAIS RÉSISTE

Après l'invasion de 1950, la Chine a annexé la moitié du territoire tibétain.

Mais le coeur du Tibet résiste toujours, les nouveaux venus chinois n'y formant encore qu'une infime minorité.

Région autonome du Tibet, Qinghai, Gansu, Sichuan, Yunnan: noms des provinces chinoises actuelles

Dharamsala : capitale du gouvernement tibétain en exil

Hong Ya : lieu de naissance du dalaï-lama

Superficie du Tibet en 1950: 2500000 km2

Superficie de la Région autonome du Tibet en 2009: 1200000 km2

Population du Tibet en 1950: 1 million à 1,5 million

Population de la Région autonome du Tibet en 2009: 2700000

Population tibétaine totale en Chine en 2009: 5 millions

Nombre de Tibétains en exil : 1,1 million