A 83 ans, Ratu Ngawang coule une retraite paisible à New Delhi. Mais il y a 50 ans, il tua beaucoup de soldats chinois dans l'Himalaya pour couvrir la fuite du dalaï lama du Tibet vers l'Inde.

«Ma mission consistait à assurer la sécurité du chef spirituel tibétain, où qu'il soit», raconte à l'AFP M. Ngawang depuis sa résidence plantée sur les berges de la rivière Yamuna, dans le nord de la capitale indienne, où il est réfugié depuis un demi-siècle.

Cet ancien guérillero tibétain se remémore comment en mars 1959 le dalaï lama --déguisé en soldat et accompagné de 37 de ses partisans-- a pris le chemin de l'exil, traversant à pied une partie des sommets himalayens pour arriver dans le nord de l'Inde au terme d'un éprouvant périple de 13 jours.

«Nous avons tué tant de soldats chinois, mais sans aucun regret», lance-t-il.

«J'étais un combattant courageux et expérimenté. Nous nous battions pour protéger le dalaï lama et étions prêts à mourir pour lui. Bon nombre de mes meilleurs amis y ont d'ailleurs perdu la vie», poursuit le vieil homme, toujours en très bonne santé à l'exception d'une légère surdité.

Conscient d'avoir écrit une page d'histoire, M. Ngawang vient de publier son autobiographie, au terme de 13 ans de travail. Des photos le montrent à dos de cheval avec son illustre maître -- deux jeunes hommes coiffés du même bonnet en laine-- ou posant fièrement devant des arsenaux pris à des militaires chinois.

Le livre narre les premières années de résistance au Tibet à partir de l'invasion chinoise de 1950-1951, le début du soulèvement antichinois du 10 mars 1959, la fuite du dalaï lama le 17, l'arrivée le 30 dans l'Etat indien de l'Arunachal Pradesh (nord-est), puis 50 années d'exil au cours desquelles il tenta de mettre sur pied un mouvement armé dans son pays natal qu'il ne reverra probablement jamais.

«C'est une vie emplie de tristesse parce que passée loin de chez moi pendant 50 ans. Alors la seule chose qui compte pour moi aujourd'hui, c'est le bien être des Tibétains et faire en sorte que le dalaï lama y retourne un jour», souffle-t-il.

Le dignitaire bouddhiste est réfugié depuis 1959 sur les hauteurs de la bourgade septentrionale de Dharamsala, grâce à l'asile politique offert par le premier chef du gouvernement de l'Inde indépendante, Jawaharlal Nehru. Ils sont aujourd'hui plus de 100.000 exilés tibétains en Inde, où la plupart sont nés et qui ne mettront jamais les pieds au Tibet.

M. Ngawang est connu au sein des réfugiés comme celui qui a emmené le dalaï lama jusqu'en Inde, bien que les deux hommes n'aient pas traversé la frontière ensemble.

«Nous devions toujours envoyer des éclaireurs pour dégager le terrain et moi je suis resté derrière pour me battre contre les troupes chinoises lancées à nos trousses», se rappelle-t-il.

Sain et sauf en Inde, le garde du corps n'ira pas à Dharamsala, mais s'installera dans un quartier de New Delhi, Majnu Katila, aujourd'hui une communauté tibétaine de 3.000 âmes.

Mardi, pour célébrer le 50e anniversaire du soulèvement raté contre la Chine, M. Ngawang a prévu de rester tranquillement chez lui.

Il sait que le dalaï lama est entre de très bonnes mains: «Mon fils Tenzin Gawa est son garde du corps personnel. J'en suis bien sûr très fier», conclut-il tout sourire.

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