Mardi prochain, les Tibétains commémoreront le 50e anniversaire d'un événement qui a marqué leur histoire: un soulèvement populaire avorté contre la Chine, suivi de l'exil du dalaï-lama. Un anniversaire encore douloureux alors que le débat sur la succession du chef spirituel bat son plein.

Le temps s'est arrêté ce jour-là. Le 31 mars 1959. La radio avait beau cracher la nouvelle en hindi, des Tibétains rassemblés à Kalimpong, dans l'Himalaya indien, ont tout de suite compris: après 15 jours d'un périlleux voyage, le dalaï-lama avait passé la frontière indienne. Il quittait le Tibet.

 

«C'est un mauvais, très mauvais souvenir», confie Sherab Khangsar, alors qu'un violent sanglot s'empare de tout son visage. «Ce jour-là, tout près de moi, un lama très respecté a enlevé ses vêtements et s'est mis à courir, nu. Deux autres personnes sont mortes, à cause du choc», raconte l'octogénaire dans la cuisine de son appartement de Longueuil.

Un demi-siècle s'est écoulé depuis que le chef spirituel des Tibétains, né Tenzin Gyatso, a dû se résoudre à abandonner Lhasa, coeur de son royaume montagneux, pour trouver refuge dans l'Inde de Jawaharlal Nehru. L'émotion, elle, est toujours à vif pour les quelque six millions de Tibétains qui lui sont fidèles.

«Ce jour-là, les Tibétains ont réalisé que leur identité était en danger. C'est encore très émotif», confirme le directeur général du comité Canada-Tibet, Dermod Travis.

Sherab Khangsar, qui, en tant que serviteur d'une famille tibétaine fortunée, avait la responsabilité à l'adolescence d'apporter du lait et du yogourt au dalaï-lama tous les deux jours, peut encore aujourd'hui raconter en détail les événements qui ont mené à l'exil du saint homme, alors âgé d'à peine 23 ans.

Invasion chinoise

Dans les années qui ont précédé son départ définitif de Lhasa, l'armé chinoise avait envahi le Tibet en 1950. L'année suivante, une délégation tibétaine a signé avec la Chine un accord en 17 points. Sentant la soupe chaude, plusieurs Tibétains ont alors pris la route des Indes. C'est ainsi que Sherab Khangsar a atterri à Kalimpong.

À la même époque, le dalaï-lama négociait avec la Chine de Mao. Mais un soulèvement populaire de quelque 300 000 Tibétains, le 10 mars 1959, a mis un terme aux pourparlers.

Parce que le gouvernement chinois demandait au dalaï-lama d'assister à un spectacle sans garde armé, la foule, qui craignait un enlèvement, a entouré le palais Potala pour s'interposer entre son leader et l'armée chinoise.

Le sang a coulé. Sept jours plus tard, le jeune moine bouddhiste a quitté Lhasa en catimini, déguisé en soldat. Depuis, le gouvernement tibétain en exil est établi à Dharamsala, dans l'État indien de l'Himachal Pradesh.

Grand bouleversement

«Tout ça a été un grand bouleversement. Vous savez, plus je pense au dalaï-lama, plus que je pense à mes parents», dit Sherab Khangsar.

Les murs de son appartement sont d'ailleurs couverts de souvenirs des passages du dalaï-lama au Canada. Il y a des photos où on le voit près du chef religieux, mais aussi des cadeaux qui lui ont été offerts par le Prix Nobel de la paix. Même au Canada, l'ancien livreur de lait n'a jamais cessé de servir le dalaï-lama. Dès qu'il apprend que ce dernier compte venir -comme ce sera le cas en octobre prochain-, M. Khangsar se met aux fourneaux et lui prépare ses plats préférés.

Malgré ses 80 ans, le Longueuillois compte se rendre à Ottawa mardi pour participer à une manifestation en faveur de l'autonomie du Tibet. Ce jour-là, partout dans le monde, les Tibétains commémoreront le 50e anniversaire du soulèvement de 1959 et l'exil de leur chef.

En Chine, cet anniversaire semble mettre le gouvernement sur ses gardes. Malgré l'embargo médiatique au Tibet, le New York Times a écrit cette semaine que les autorités y ont imposé une loi martiale non officielle. Alors que la date fatidique approche, Pékin craint de nouvelles émeutes, dans la foulée de celles de l'année dernière. La colère gronde dans les monastères bouddhistes tout autant que dans les campagnes. Pour beaucoup de Tibétains, 1959, c'était hier.