Affirmant que l'armée est tout près de déloger les Tigres tamouls de leurs dernières positions, le gouvernement du Sri Lanka a exhorté, hier, les civils qui se trouvent dans la zone de combat à se réfugier dans une zone «sécurisée».

Cet ultimatum en a laissé plusieurs pantois: le même gouvernement maintient depuis des semaines que ces 250 000 personnes sont prises en otages par les rebelles séparatistes.

Depuis que les combats entre l'armée sri-lankaise et les Tigres de libération de l'Eelam tamoul se sont intensifiés au cours des dernières semaines, il ne se passe pas une journée sans que des informations contradictoires soient diffusées par le gouvernement de Colombo ou par la guérilla qui se bat depuis 25 ans pour l'indépendance de la minorité tamoule dans le nord-est du pays.

La journée d'hier a d'ailleurs été particulièrement marquée par les doubles discours. Un hôpital qui se trouve à Putukkudiyiruppu, au coeur de la région du Vanni où se déroulent les combats, a été atteint de plusieurs tirs d'artillerie dimanche. Au moins neuf personnes sont mortes et des dizaines d'autres ont été blessées.

Qui est responsable? Les Tigres tamouls et le gouvernement se renvoient la balle pendant que les porte-parole du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), furieux, rappellent qu'un tel attentat viole le droit international.

 

Trou noir d'information

 

Difficile de départager le vrai du faux dans cette affaire. Aucun journaliste n'est autorisé à travailler dans le Vanni. La zone de combat ainsi que le camp de réfugiés gouvernemental de Vavuniya sont hors de portée pour la presse locale et internationale depuis septembre dernier. Hormis le CICR, qui respecte son credo de neutralité, aucune organisation internationale ne peut oeuvrer dans la région.

Hier, le gouvernement sri-lankais a fait monter d'un cran sa tentative de museler toute dissidence. Un ministre a menacé d'expulser les diplomates, les journalistes et les organisations humanitaires jugés favorables aux Tigres tamouls.

Du jamais vu, selon un expert du Sri Lanka. «C'est la première fois depuis l'élection de Mahinda Rajapakse en 2005 que l'on voit une telle volonté de la part du gouvernement d'empêcher la circulation de l'information», soutient Éric Meyer, professeur à l'Institut national des langues et des civilisations orientales de Paris.

Ce trou noir de l'information sert, selon lui, un but principal: empêcher les 250 000 civils tamouls qui sont témoin des combats de dénoncer les violations des droits de la personne commises par l'armée sri-lankaise, alors que cette dernière est plus près que jamais de remporter une guerre qui dure depuis 1983, tuant plus de 70 000 personnes, dont plusieurs centaines depuis le début de janvier.

«Mais cette stratégie risque de ne pas fonctionner longtemps. L'information commence à sortir et peut avoir l'effet d'un boomerang pour le gouvernement sri-lankais», ajoute M. Meyer.

 

Non à une trêve pour évacuer les civils

 

Des photos de civils en détresse et des vidéos montrant la désolation dans le Vanni ont été remises, hier, à des journalistes par des individus qui ont réussi à échapper à la guerre et au contrôle gouvernemental. Une autre montre une famille tuée dans son sommeil par des tirs d'artillerie, une autre un hôpital surpeuplé dans lequel malades et blessés sont serrés les uns contre les autres.

Ces photos confirment les craintes des Nations unies et d'une horde d'organisations humanitaires qui, depuis une semaine, demandent une trêve aux affrontements armés pour évacuer les civils.

Le gouvernement a refusé de considérer le cessez-le-feu, en accusant les Tigres tamouls d'être les seuls responsables du sort de ces 250 000 personnes. Les rebelles avaient répliqué qu'ils ne détiennent personne, mais que bon nombre de civils tamouls préfèrent rester près des Tigres, sous les bombes, que de tomber aux mains de l'armée, contrôlée par la majorité cinghalaise bouddhiste du pays.

L'ultimatum lancé hier par le gouvernement aux mêmes civils semble indiquer que les rebelles n'avaient pas tout faux.

«Il y a des précédents dans les deux cas. À plusieurs reprises, les Tigres ont contraint des civils à les suivre dans leurs déplacements. Mais c'est aussi vraisemblable que beaucoup de gens qui sont encore dans la zone de conflit craignent les représailles du gouvernement», explique Éric Meyer.

Et de noter que la défaite pressentie des Tigres a peu de chances de mettre fin aux revendications de la minorité tamoule.