Réuni à Chiang Maï, dans le nord de la Thaïlande, au milieu de rumeurs de coup d'État, le gouvernement du premier ministre Somchaï Wongsawat a décrété hier l'état d'urgence dans les deux grands aéroports de Bangkok paralysés par l'opposition royaliste.

Wongsawat, qui a rejeté le «conseil» du général Anupong Paojinda, chef des armées, de tenir de nouvelles élections pour sortir de la crise, a demandé aux militaires de rester dans les casernes, sauf pour prêter main-forte à la police pour rouvrir les aéroports aux milliers de touristes qui veulent rentrer chez eux.

 

En attendant la réouverture des aéroports de Suvarnabhumi (international) et Don Muang (vols intérieurs), le chef du département de l'aviation, Chaisak Angkasuwan, a offert hier d'ouvrir la base aéronavale d'U-Tapao, ancienne place forte des Américains durant la guerre du Vietnam, pour le départ des touristes bloqués.

Les opposants de l'Alliance populaire pour la démocratie (PAD) ont répliqué à un appel du général Anupong à évacuer Suvarnabhumi en occupant aussi Don Muang. Ils ont dit qu'ils se disperseraient à l'arrivée des forces de l'ordre, mais qu'ils reviendraient quand celles-ci se seront retirées. La fermeture des aéroports a coûté trois milliards de dollars à la Thaïlande, durement frappée par la crise financière et économique mondiale.

L'état d'urgence s'applique aux aéroports seulement, a dit un ministre. Il permet aux forces de l'ordre d'y suspendre les libertés, interdire les rassemblements, interdire l'accès aux médias et rétablir l'ordre.

À la télévision, Wongsawat a accusé l'opposition de «prendre la nation en otage», mais il a dit que le gouvernement n'avait «l'intention de blesser personne».

Rentrant mercredi du sommet de l'APEC au Pérou, il avait dû atterrir à Chiang Maï. Peu après, il avait affirmé qu'il ne démissionnerait pas car son administration a été élue démocratiquement par la majorité du peuple thaïlandais.

Les opposants estiment qu'«un nouveau scrutin ne réglera rien». Ils comptent sur un coup d'État de l'armée. Mais le général Anupong redoute «les réactions internationales» à un putsch, surtout que la Thaïlande va accueillir le sommet de l'ASEAN (Association des nations du Sud-Est asiatique).

Il y a en effet de fortes chances que le Parti du pouvoir populaire (PPP) et ses quatre alliés formeront encore le gouvernement après de nouvelles législatives. Le PAD en a surtout contre le PPP, et son chef charismatique, Thaksin Shinawatra, qui reste populaire dans les campagnes, même s'il est en exil depuis qu'il a été renversé par un coup d'État en 2006.

Des femmes appellent dans les tribunes téléphoniques pour jurer qu'elles porteront des sous-vêtements rouges jusqu'au retour de leur héros. Ce multimillionnaire, qui a lutté contre la pauvreté rurale et qui était le patron du club de football anglais Manchester City, a dit qu'il veut rentrer malgré les procès qui l'attendent pour corruption.

En son absence, le PPP a continué de gouverner. Samak Sundaravej, son successeur et fin gourmet, a démissionné pour avoir touché de l'argent du commanditaire de ses émissions culinaires à la télé. Wongsawat, qui a remplacé Samak, est le beau-frère de Thaksin, et le PAD le soupçonne d'attendre le retour de l'autre.

En dépit de ses prétentions «démocratiques», le PAD est une alliance de courtisans, de féodaux et d'élitistes, jusque dans l'armée et les syndicats, qui rejette le principe d'«un électeur, une voix» et le règne de la majorité, estimant que les pauvres sont trop bêtes pour élire le gouvernement.

Il propose une réforme qui consacre la monarchie, et qui remette le pouvoir à une élite et fasse du Parlement un corps purement consultatif.

 

Et le roi?

Le roi Bhumibol Adulyadej, qui aura 81 ans la semaine prochaine, est le monarque au plus long règne au monde. Il est révéré comme un dieu par ses sujets. Ses pouvoirs sont limités, mais son influence morale est décisive dans les crises. Les opposants du PAD, qui arborent le jaune sacré de la monarchie, redoutent que le populisme du PPP ne mène à la République. La reine Sirikit appuie le PAD, au point d'assister aux funérailles d'un militant du PAD tué par la police le mois dernier. Le prince héritier Vajiralongkorn est impopulaire. Les Thaïs lui préfèrent sa soeur, la princesse Maha Chakri Sirindhorn, même si elle est célibataire et n'a pas d'héritier.