Les ouvrages jugés inacceptables par Pékin sont pour beaucoup retirés des bibliothèques.

Les livres abordant des sujets tabous aux yeux du régime communiste chinois se font de plus en plus rares dans les bibliothèques publiques de Hong Kong.

Ce qu’il faut savoir

  • Le nombre de livres critiques du régime communiste est en chute libre dans les bibliothèques de Hong Kong, selon des médias.
  • Un caricaturiste de renom a été licencié par le quotidien Ming Pao, sous pression notamment des autorités.
  • Des experts craignent que le régime chinois cherche à effacer tout souvenir de la vie démocratique de Hong Kong.

Un média produit par des journalistes en exil a sonné l’alarme à ce sujet, la semaine dernière, à l’approche de la date anniversaire du massacre de la place Tiananmen, survenu le 4 juin 1989.

En consultant la banque de données du réseau public, Photon Media a relevé qu’une poignée seulement des 150 ouvrages disponibles il y a quelques années relativement à cet évènement historique demeuraient accessibles.

Le quotidien hongkongais Ming Pao, qui s’est livré à un exercice similaire, a conclu qu’environ 40 % des 470 ouvrages politiques disponibles par le passé avaient été retirés de la liste accessible à la population.

PHOTO TYRONE SIU, REUTERS

Zunzi montre certaines de ses caricatures. Tous les ouvrages contenant ses dessins ont été retirés des bibliothèques publiques.

Le même journal a parallèlement fait savoir récemment qu’il s’était départi des services d’un caricaturiste connu sous le nom de Zunzi, qui avait suscité à plusieurs reprises l’ire des autorités. Tous les ouvrages contenant ses dessins ont été retirés des bibliothèques publiques.

Le chef du gouvernement hongkongais, John Lee, soutenu par Pékin, a défendu la censure en cours jeudi en relevant qu’il faut éviter de « suggérer des livres avec des idées malsaines » aux résidants de l’ancienne colonie.

Un retrait coordonné

Angeli Datt, qui documente la situation en Chine pour Pen America, une organisation de défense de la liberté d’expression, a indiqué vendredi en entrevue que le retrait d’ouvrages était coordonné « au plus haut niveau » politique.

La pratique, note la militante, a débuté dans la foulée de l’adoption en 2020 de la loi sur la sécurité nationale, qui prévoit des peines d’emprisonnement sévères pour une série d’actes mal définis, incluant la sédition.

Les autorités locales, qui souhaitaient couper court aux manifestations prodémocratie secouant Hong Kong, ont multiplié les arrestations. Elles se sont aussi attaquées agressivement aux médias, forçant la fermeture de plusieurs sites influents, dont Apple Daily.

[Les autorités] ont maintenant décidé de s’attaquer de plein fouet au milieu de l’édition.

Angeli Datt, de Pen America

Après l’introduction de la loi sur la sécurité nationale, des bibliothécaires ont retiré des livres de manière préventive par crainte de se retrouver en difficulté.

Les écrits de dissidents connus, comme Joshua Wong, ont disparu par la suite, à l’instar de dizaines d’ouvrages de nature politique.

L’exercice est devenu « beaucoup plus systématique » récemment, souligne Mme Datt, qui en veut pour preuve l’annonce en avril de la complétion d’un audit gouvernemental de l’ensemble des livres disponibles « pour protéger la sécurité nationale ».

Les ouvrages retirés couvrent des sujets comme le massacre de la place Tiananmen ou le mouvement indépendantiste à Hong Kong, ou sont l’œuvre d’auteurs condamnés ou en exil.

La journaliste Louisa Lim, qui a écrit un ouvrage de référence sur « l’amnésie » de la République populaire de Chine, a dénoncé sur Twitter son retrait des bibliothèques en relevant que « la mémoire de Hong Kong est en voie d’être effacée ».

Jeff Wasserstrom, un professeur de l’Université de Californie à Irvine qui a écrit sur le mouvement prodémocratie à Hong Kong, note que le gouvernement chinois s’est toujours préoccupé d’abord de censurer les ouvrages écrits dans la langue locale « parce qu’ils sont susceptibles d’être consultés par le plus grand nombre ».

La purge en cours, qui touche aussi nombre de livres écrits en anglais, montre cependant que les autorités ont décidé de passer à la vitesse supérieure, dit-il.

« Une escalade »

Gloria Fung, qui chapeaute de Toronto l’organisation Canada-Hong Kong Link, pense que le régime chinois veut effacer à terme tout souvenir de la vie démocratique de l’ancienne colonie.

Après avoir interdit les manifestations traditionnelles soulignant le massacre de Tiananmen et fait disparaître des symboles du drame sur les campus universitaires, le gouvernement s’attaque à la culture sous toutes ses formes, souligne la militante, qui affirme avoir orchestré le transfert à l’extérieur du pays d’archives importantes par crainte de la censure.

« C’était clair que ça s’en venait dès que la loi sur la sécurité nationale a été adoptée », dit-elle.

John Lee a fait valoir la semaine dernière que nombre d’ouvrages disparus demeurent disponibles dans des librairies, mais l’affirmation n’est pas crédible, notamment parce qu’un grand nombre de ces établissements sont détenus par une organisation relevant directement de Pékin, dit Mme Datt.

Les efforts de censure ne se limitent pas à l’ancienne colonie puisque le régime chinois a arrêté récemment en Chine continentale un éditeur de Taïwan qui a publié plusieurs ouvrages de dissidents politiques.

« C’est une indication claire que le gouvernement chinois n’entend pas se limiter à son territoire et veut exercer son contrôle à l’extérieur aussi. On assiste clairement à une escalade », conclut la représentante de Pen America.