La répression des manifestations inédites de la fin de semaine se poursuit dans une Chine en deuil, mais Pékin change de discours face à sa politique zéro COVID-19

Après les protestations, la mort de l’ex-président chinois Jiang Zemin survenue mercredi est sur toutes les lèvres dans un pays où la disparition de grands dirigeants rime souvent avec révolte populaire. Dans la foulée, Pékin a allégé jeudi sa politique zéro COVID-19 dans plusieurs régions.

« Nous sommes dans un moment particulièrement volatil [en Chine] », observe Kimberley Manning, professeure de science politique à l’Université Concordia, spécialisée en politique chinoise. La chercheuse était à Pékin en 1989, lors des manifestations prodémocratie qui se sont terminées par un bain de sang sur la place Tian’anmen.

« Et c’est la première fois que je vois quelque chose de similaire, affirme-t-elle au bout du fil. Il y a des appels à la démission [du président] Xi Jinping, il y a des appels à la démocratie. C’est audacieux. »

Difficultés économiques, censure, pertes d’emplois, manque de nourriture, contrôle culturel et confinements à répétition : le week-end dernier, la jeunesse chinoise a exprimé dans les rues son ras-le-bol contre les mesures imposées pour le contrôle de la COVID-19, mais aussi contre le Parti communiste.

Il s’agissait d’une première depuis des décennies, tant par la taille des manifestations que par le fait qu’elles se sont produites simultanément dans de nombreuses villes, et qu’elles étaient dirigées directement contre Pékin.

« Je suis sous le choc de voir que les gens se tiennent, sans masque, face aux médias étrangers, s’étonne Mme Manning. Quand on connaît les risques, c’est ahurissant. »

Une mort qui pourrait mettre le feu aux poudres

En Chine, la mort d’importants dirigeants a historiquement mené à des mobilisations populaires. Ce fut notamment le cas en 1989, où la disparition de Hu Yaobang avait servi de catalyseur au mouvement étudiant prodémocratie, explique Jean-Philippe Béja, sinologue et chercheur au Centre de recherches internationales de Science Po Paris.

Avec la mort de Jiang Zemin, les gens font des comparaisons. Moi, je retiens mon souffle, parce que la coïncidence est extraordinaire.

Kimberley Manning, professeure de science politique à l’Université McGill

La dépouille de l’ex-dirigeant est arrivée à Pékin jeudi soir à bord d’un avion spécialement affrété, pendant que la population lui rendait hommage à travers le pays. Une cérémonie commémorative aura lieu au Palais du peuple, à Pékin, le 6 décembre prochain.

Cette disparition a de quoi inquiéter les autorités chinoises. Celles-ci, sans reconnaître officiellement le mouvement contestataire, ont commencé à annoncer jeudi des allègements des mesures sanitaires coercitives liées à la politique zéro COVID-19, indique le New York Times. « C’est un retournement à 180 degrés du discours qu’elles tenaient auparavant », dit Kimberley Manning.

Dans le sud du pays, par exemple, les résidants de Guangzhou sont retournés travailler après des semaines de confinement. À Chongqing, dans le Sud-Ouest, les habitants n’ont plus à se tester régulièrement. Et à Pékin même, un dirigeant a affirmé que les souches du variant Omicron étaient moins sévères que prévu.

La situation sanitaire demeure toutefois délicate en Chine, qui risque de connaître une crise de santé publique si le virus se propage, tel que nous le rapportions dans un reportage mercredi.

Lisez notre reportage

La carotte et le bâton

En parallèle, les mesures de répression envers les manifestants se sont poursuivies, après que le principal organe de sécurité chinois a appelé mardi à la « répression » des « forces hostiles ». Depuis, les forces de l’ordre, notamment par la surveillance et les arrestations, ont découragé la tenue de nouvelles manifestations.

L’idée, c’est celle-là : on réprime, on fait un certain nombre d’arrestations, notamment des arrestations secrètes, on va chercher les gens chez eux, on vérifie les téléphones [cellulaires], on censure internet, on encourage les étudiants à partir en vacances, à rentrer chez eux, on leur paie même le voyage. Ça pourrait, dans un premier temps, calmer le jeu.

Jean-Philippe Béja, sinologue et chercheur Centre de recherches internationales de Science Po Paris

De l’avis des différents experts consultés, il est toutefois difficile de prévoir la suite pour ce mouvement de contestation inhabituel. « Je pense que les causes de cette insatisfaction de la jeunesse chinoise vont beaucoup plus loin que la COVID-19 », souligne Sandra Hyde, anthropologue de l’Université McGill qui étudie la Chine depuis plus de 40 ans.

Une analyse qui est partagée par M. Béja. « L’économie est dans un état lamentable et les jeunes ne trouvent pas de travail, rappelle-t-il. Le relâchement de certaines mesures, ça va peut-être calmer les choses dans un premier temps, mais ça ne réglera pas le problème. »

Avec l’Agence France-Presse

Postes de police chinois au Canada : Ottawa demande à l’ambassadeur de s’expliquer

Le Canada a sermonné à « plusieurs reprises » l’ambassadeur de Chine après avoir appris l’existence de soi-disant postes de police clandestins au pays, a révélé un haut fonctionnaire devant un comité parlementaire. « Le gouvernement du Canada a officiellement insisté pour que le gouvernement chinois rende compte, y compris l’ambassadeur et son ambassade, de toutes les activités au Canada qui ne relèvent pas de la Convention de Vienne et veille à ce qu’elles cessent immédiatement », a déclaré mardi soir Weldon Epp, le directeur général pour l’Asie du Nord-Est au ministère des Affaires étrangères. Dans sa réponse à la porte-parole conservatrice en matière de sécurité publique, Raquel Dancho, M. Epp a précisé qu’Ottawa se réserve la possibilité de prendre « d’autres décisions » en fonction de la réaction de la Chine. Le diplomate canadien a refusé de fournir de plus amples détails en public, comme dans la réunion à laquelle il participait. Justin Trudeau a esquivé jeudi toutes les questions qui lui ont été posées sur ce sujet, notamment s’il était au courant de l’existence de ces postes de police avant qu’une ONG étrangère la révèle au grand public et quelles sont les options que le Canada envisage si la Chine ne les ferme pas.

La Presse Canadienne

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  • 1989-2003
    Années où Jiang Zemin a été secrétaire général du Parti communiste chinois puis président de la République populaire de Chine