(Shanghai) Les autorités chinoises tentaient lundi d’enrayer le mouvement de colère contre les restrictions sanitaires et en faveur de plus de libertés, des manifestations d’une ampleur historique et soutenues à l’étranger, notamment par les Nations unies.

Par son étendue, la mobilisation évoque les rassemblements prodémocratie de 1989, durement réprimés. Elle est le point d’orgue d’une grogne populaire qui couve depuis des mois en Chine, l’un des derniers pays au monde à appliquer une stricte politique « zéro COVID-19 ».

À lire aussi : Derrière les manifestations, une frustration sur le plan politique

À l’étranger, ces manifestations ont reçu des marques de soutien, notamment du président des États-Unis Joe Biden.

« La Maison-Blanche soutient le droit à manifester de manière pacifique », a déclaré M. Biden lors d’un échange avec la presse, en faisant valoir qu’il « se tient informé de ce qui se passe » de « près ».

Plus tôt, un porte-parole du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, Jeremy Laurence avait appelé « les autorités à répondre aux manifestations conformément aux lois et normes internationales relatives aux droits humains ».

À Washington, John Kirby, un porte-parole du Conseil de sécurité nationale, un organe rattaché au président américain, ne s’est pas prononcé sur le fond de ces revendications : « Ces manifestants parlent pour eux-mêmes » et a signifié la volonté américaine de « garder ouverts les canaux de communication » avec les autorités chinoises.

Le département d’État a de son côté souligné que « cela fait longtemps que nous disons que tout le monde a le droit de manifester pacifiquement, ici aux États-Unis et partout dans le monde ». « Cela inclut la Chine », a-t-il précisé dans un communiqué.

Même tonalité en Allemagne où le président a dit « espérer que les autorités en Chine respecteront le droit à la liberté d’expression et de manifestation ». « Je comprends que les gens expriment leur impatience et leurs griefs dans les rues », estime dans un entretien au média Deutsche Welle Frank-Walter Steinmeier, une autorité morale dans son pays.

Dimanche, une foule de manifestants, répondant à des appels sur les réseaux sociaux, était descendue dans la rue notamment à Pékin, Shanghai et Wuhan, prenant les forces de l’ordre au dépourvu.

PHOTO ASSOCIATED PRESS

Des policiers bloquent une rue à Shanghai dimanche.

Parmi les slogans scandés à l’unisson : « Pas de tests COVID-19, on a faim ! », « Xi Jinping, démissionne ! PCC (Parti communiste chinois, NDLR), retire-toi ! » ou « Non aux confinements, nous voulons la liberté ».

L’incendie mortel survenu à Urumqi, capitale de la province du Xinjiang (Nord-Ouest), a catalysé la colère de nombre de Chinois pour qui les restrictions sanitaires ont entravé les secours.

Elles ont finalement été assouplies dans cette ville où, dès mardi, les habitants pourront se déplacer en bus pour faire leurs courses.

Le ministère chinois des Affaires étrangères a accusé des « forces aux motivations cachées » d’établir un lien entre cet incendie et « la réponse locale à la COVID-19 », selon son porte-parole Zhao Lijian. Sous « la direction du Parti communiste chinois et (avec) le soutien du peuple chinois, notre combat contre la COVID-19 sera une réussite », a-t-il clamé.

PHOTO FOURNIE, VIA REUTERS

Entre 200 et 300 étudiants de la prestigieuse Université Tsinghua à Pékin ont également manifesté dimanche sur leur campus.

Mais les manifestations ont aussi fait émerger des demandes pour plus de libertés politiques et le départ du président Xi Jinping, à peine reconduit pour un troisième mandat inédit.

Présence policière

Lundi matin, une présence policière était visible à Pékin et à Shanghai, près des lieux de rassemblements de la veille, ont constaté des journalistes de l’AFP.

À Pékin, des manifestants ont été interrogés par la police par téléphone après avoir assisté à des rassemblements, a déclaré lundi à l’AFP l’un d’eux.

À Shanghai, une des rues occupées était désormais entourée de palissades pour empêcher tout nouveau rassemblement. Dans la journée, trois personnes ont été arrêtées près de la rue Urumqi où avait eu lieu une manifestation dimanche.

À lire aussi : Londres intime à Pékin de respecter la liberté de la presse

Des heurts avaient opposé dimanche forces de l’ordre et manifestants. Un journaliste de la BBC en Chine, a été arrêté et « frappé par la police » à Shanghai, selon ce média.

La plus grande alliance de médias de service public dans le monde, l’Union européenne de Radio-Télévision (UER), a condamné lundi « avec la plus grande fermeté, les intimidations et les agressions intolérables dont sont victimes les journalistes et les équipes de production des membres de l’UER en Chine ».

À Pékin, une manifestation prévue lundi en fin de journée a été découragée par la forte présence policière. Des véhicules de police étaient alignés le long de la route menant au pont Sitong.

Dans ce secteur désormais patrouillé par la police, une jeune femme d’une vingtaine d’années, venue faire son jogging, a confié lundi à l’AFP avoir suivi le rassemblement de la veille via les réseaux sociaux. « Cela a envoyé le signal que les gens en ont marre de ces restrictions excessives », a estimé la jeune femme, sous couvert d’anonymat.

À Hong Kong, territoire secoué par des manifestations prodémocratie en 2019, des dizaines de personnes se sont réunies lundi à l’Université chinoise en signe de solidarité avec les manifestants et en hommage aux victimes de l’incendie à Urumqi, a constaté l’AFP.

D’autres ont déployé des banderoles et brandi des fleurs dans le quartier Central, cœur financier de la ville.

Sur les réseaux sociaux chinois, toute information concernant ces manifestations semblait avoir été effacée lundi.  

Sur la plateforme Weibo, sorte de Twitter chinois, les recherches « Rivière Liangma » et « rue Urumqi » ne donnaient aucun résultat lié à la mobilisation.

« Point d’ébullition »

Le contrôle strict des autorités chinoises sur l’information et les restrictions sanitaires sur les voyages à l’intérieur du pays compliquent la vérification du nombre total de manifestants durant le week-end.

Mais un soulèvement aussi étendu est rarissime en Chine, compte tenu de la répression contre toute forme d’opposition au gouvernement.

Des manifestations ont également eu lieu à Canton, Chengdu mais aussi à Wuhan, ville du centre du pays où avait été détecté le premier cas au monde de COVID-19 il y a bientôt trois ans.

Le Quotidien du peuple a publié lundi un texte mettant en garde contre la « paralysie » et la « lassitude » face à la politique « zéro COVID-19 », sans appeler à y mettre fin.

« Les gens ont maintenant atteint un point d’ébullition, car il n’y a pas de direction claire sur la voie à suivre pour mettre fin à la politique du zéro COVID-19 », explique Alfred Wu Muluan, expert en politique chinoise à l’Université nationale de Singapour. « Le parti a sous-estimé la colère de la population », ajoute-t-il.

Les manifestations ont inquiété les investisseurs. Et les Bourses asiatiques ont ouvert en nette baisse lundi.

De Shanghai à Urumqi : huit mois de protestations

Le mécontentement gronde en Chine depuis des mois, culminant ces derniers jours en une vague de protestations sans précédent contre la politique draconienne du « zéro COVID-19 » que Pékin applique depuis près de trois années.

Voici les principales manifestations liées à la COVID-19 observées depuis le début de l’année.

Les voix de Shanghai

En avril, un montage vidéo de six minutes composé de clips d’habitants de Shanghai désespérés est rapidement devenu viral sur les réseaux sociaux chinois, avant d’être censuré.

Ils y disaient leur souffrance face au sévère confinement imposé, en mars et avril.

Le montage avait été publié dans de multiples formats pour tenter d’échapper à la censure. C’était la plus grande vague de protestation en ligne depuis la mort en février 2020 du médecin de Wuhan Li Wenliang, lanceur d’alerte sur le coronavirus.

Les manifestations étudiantes

En mai, des centaines d’étudiants d’un campus de l’université d’élite de Pékin ont protesté contre les mesures strictes de confinement qui accordaient une plus grande liberté de mouvement au personnel universitaire qu’aux étudiants.

Cette rare manifestation a ensuite été désamorcée après que les autorités ont accepté d’assouplir certaines restrictions.

Les campus de toute la Chine ont été bouclés pendant la quasi-totalité de la pandémie.

Contre les banques du Henan

De mai à juillet, des centaines de titulaires de comptes bancaires dans la province du Henan ont manifesté dans la capitale régionale Zhengzhou (centre) après le gel des dépôts dans plusieurs banques rurales.

Certains ont rapporté que le code de leur passeport sanitaire était inexplicablement devenu rouge à leur arrivée à Zhengzhou, les empêchant de voyager et ont accusé les autorités de trafiquer le système.

Les protestations au Tibet

En octobre, dans la capitale tibétaine de Lhassa, des centaines de personnes ont organisé une manifestation inhabituelle pour protester contre le confinement qui a duré près de trois mois.

Des centaines de personnes, pour la plupart des travailleurs migrants de l’ethnie chinoise Han, ont été vues défilant dans les rues pour demander l’autorisation de rentrer chez eux.

Les manifestations ont été géolocalisées dans une zone proche du palais du Potala, la résidence traditionnelle du dalaï-lama, le chef spirituel en exil du Tibet.

Sur un pont de Pékin

Peu avant l’ouverture du congrès du parti communiste chinois, un manifestant a drapé un pont de Pékin de deux banderoles.

« Pas de tests COVID-19, je veux gagner ma vie. Pas de révolution culturelle, je veux des réformes. Pas de confinement, je veux la liberté », proclamait la première. La seconde appelait les citoyens à se mettre en grève et à chasser « le traître dictateur Xi Jinping ».

Les heurts de Canton

En novembre, des heurts ont opposé des manifestants à la police dans la métropole de Canton (Sud), après l’extension du confinement en raison d’une recrudescence des infections.

Des vidéos sur les réseaux sociaux, vérifiées par l’AFP, ont montré des centaines de personnes descendant dans la rue, certaines arrachant les cordons destinés à empêcher les habitants confinés de sortir de chez eux. « Plus de tests », scandaient les manifestants, dont certains jetaient des projectiles sur la police.

Affrontements chez Foxconn

Des manifestations de grande ampleur ont éclaté dans la plus grande usine d’iPhone du monde, dans la ville de Zhengzhou (centre), confinée depuis octobre.

Des centaines d’employés de l’usine du géant taïwanais Foxconn ont manifesté en raison de différends concernant leurs salaires et leurs conditions de travail.

Des affrontements violents ont eu lieu entre les manifestants et la police. Foxconn a ensuite offert aux nouvelles recrues une prime équivalente à 1400 dollars pour mettre fin à leur contrat et partir, dans le but d’éradiquer l’agitation.

Soulèvement d’Urumqi

Des centaines de personnes sont descendues dans les rues d’Urumqi, la capitale du Xinjiang, vendredi soir, pour demander la fin des mesures de restrictions qui touchent la région depuis trois mois.

Des images partiellement vérifiées par l’AFP montrent des centaines de personnes massées devant le siège des autorités de la ville scandant : « Levez les mesures de confinement ! »

Les manifestations ont eu lieu après la mort de dix personnes dans l’incendie d’un immeuble jeudi. Des internautes ont soutenu que les mesures de confinement avaient empêché les habitants de quitter leur domicile à temps et retardé l’accès des secours.

Ces manifestations de masse ont depuis déclenché une vague de protestations et de veillées à travers le pays, dans de grandes villes comme Shanghai ou sur des campus chinois.