(Taipei et Tainan, Taiwan) Ce samedi, les Taiwanais éliront une vingtaine de maires et chefs de comté, un exercice qui se déploie tous les quatre ans, à l’image des élections de mi-mandat aux États-Unis. On y discute généralement d’enjeux locaux. Mais cette année, on les présente aussi comme un message à la Chine.

Oubliez le porte-à-porte. Les campagnes électorales à Taiwan se déroulent dans les rues.

De gigantesques affiches électorales tapissent les bâtiments et les vitrines de magasins, sont apposées dans les parcs, et ont même réussi à s’incruster dans les temples.

PHOTO ANN WANG, ARCHIVES REUTERS

De nombreuses affiches électorales bordent les rues de Taipei.

Du matin jusqu’au soir, des camions-crieurs circulent sans interruption. Et il n’est pas rare d’apercevoir des candidats paradant dans des véhicules de toutes sortes, affichant un air vainqueur, saluant les passants, et répétant toujours le même discours au micro.

Aucune ville n’échappe à ce tintamarre.

À Taipei, la capitale, le Parti démocrate-progressiste (PDP), le parti au pouvoir pro-indépendance, a appelé ses partisans à un énième rassemblement dans un petit parc à une semaine des élections. Des dizaines de volontaires s’affairent à distribuer des paquets de mouchoirs, des calendriers ou des masques sanitaires aux couleurs du parti. À chaque prise de parole, une centaine de petits drapeaux verts sont brandis et des slogans fusent.

L’allocution de la présidente de Taiwan, Tsai Ing-Wen, est la pièce de résistance de l’évènement.

PHOTO ANN WANG, ARCHIVES REUTERS

La présidente de Taiwan, Tsai Ing-Wen, au micro lors d’un rassemblement à de son parti à Taipei, le 12 novembre

Réélue à la présidence en 2020, la femme de 66 ans est venue appuyer ses candidats aux mairies des principales villes de l’île. Toujours amicale, décontractée, la dirigeante du parti pro-indépendance ne rate jamais l’occasion — avec son ton posé — de provoquer l’ire de la Chine, notamment lorsqu’elle sous-entend que voter pour son parti, c’est prendre conscience de « l’importance de la démocratie ». Une semaine plus tôt, dans un rassemblement semblable, la présidente était allée encore plus loin, en rappelant que « Taiwan appartient aux Taiwanais ».

« Je n’ai pas peur de la Chine »

Le PDP considère Taiwan comme une nation souveraine de facto, tandis que la Chine voisine considère l’île de 23 millions d’habitants comme faisant partie de son territoire. Pékin a maintes fois promis d’en reprendre le contrôle, par la force si nécessaire.

À côté de nous, Shieh Ling-Ju, une résidante de Taipei, confie qu’elle votera sans équivoque pour le PDP et son candidat à la mairie, Chen Shih-Chung. « Ce sont les seuls qui peuvent nous protéger de la Chine. »

PHOTO MYRIAM BOULIANNE, COLLABORATION SPÉCIALE

Chen Shih-Chung, candidat du Parti démocrate-progressiste à la mairie de Taipei, parade dans les rues de la capitale.

Un peu plus loin, Mme Xu, qui n’a pas voulu donner son prénom, soutient également la position du PDP vis-à-vis de Pékin. « Je n’ai pas peur de la Chine. Notre détermination à nous protéger est très importante et la présidente Tsai se soucie beaucoup de notre défense nationale et des affaires militaires », affirme-t-elle.

Pourtant, la question de la sécurité nationale, bien qu’elle galvanise les foules, n’est pas au programme de ces élections locales. L’exercice du 26 novembre vise plutôt à élire 22 maires et chefs de comté à travers Taiwan.

Message politique

« Habituellement, le PDP ne met pas l’accent sur la menace chinoise lors des élections locales, souligne Wang Yeh-Lih, professeur de science politique à l’Université nationale de Taiwan. Mais comme la situation entre Taiwan et la Chine est beaucoup plus tendue que par le passé, le PDP utilise cet argument pour obtenir plus de votes ».

Les tensions entre Taipei et Pékin ont d’ailleurs atteint leur niveau le plus élevé en août, après la visite de Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants des États-Unis. La Chine a répliqué en effectuant d’importantes manœuvres militaires dans le détroit de Formose.

PHOTO CHIANG YING-YING, ASSOCIATED PRESS

Des électeurs font la queue pour voter à New Taipei City, samedi (heure locale).

Lors de l’élection présidentielle de 2020, Tsai Ing-Wen l’avait emporté haut la main, aidé par le mouvement de protestation à Hong Kong la même année, et grâce au slogan « résister à la Chine, défendre Taiwan ». Ce slogan, le PDP continue de l’utiliser durant la campagne locale.

Mais cette stratégie est vouée à l’échec, croit Courtney Donovan Smith, chroniqueur pour le média Taiwan News.

C’est juste un slogan, il n’y a pas de substance. Les électeurs se rendent compte que cet appel au nationalisme n’est qu’un stratagème désespéré, puisque le PDP est derrière dans les intentions de vote.

Courtney Donovan Smith, chroniqueur pour le média Taiwan News

Les candidats auraient pu présenter des propositions sur la manière dont leurs gouvernements locaux s’exécuteraient « au cas où le pire arriverait », soutient-il. « S’il y avait une invasion, les dirigeants locaux seraient appelés à jouer un rôle important, comme cela a été démontré en Ukraine. »

Éviter d’attiser les tensions

À Tainan, ancienne capitale et cinquième ville de l’île (800 000 habitants), John Liu distribue des prospectus de Greenpeace. Si l’environnement est sa priorité, il avoue qu’il ne votera « jamais pour un candidat qui veut se rapprocher de la Chine. Même lors des élections locales ».

PHOTO ANN WANG, REUTERS

Des partisans du KMT, principal parti de l’opposition à Taiwan, lors d’un rassemblement à Taipei, vendredi

Le principal parti de l’opposition, le KMT, devra par ailleurs clarifier sa position envers la Chine. « Il est traditionnellement pro-réunification, mais les évènements des récentes années l’ont poussé à changer de cap et plusieurs désaccords sont survenus entre les membres », explique Brian Hioe, éditeur en chef du magazine New Bloom situé à Taipei.

Quant au PDP, même si sa position envers la Chine est catégorique, le parti devra faire attention à sa stratégie antichinoise afin qu’elle « n’augmente pas les tensions » avec son voisin, note M. Wang, voire, à ce que l’hypothétique ne devienne pas inévitable.

Avec la collaboration de Tien Tsun-Sheng